« Depuis le 7 octobre, il est très difficile de parler de la question palestinienne », observe l’historien Vincent Lemire. Au Mucem, ce spécialiste du conflit israélo-palestinien et son confrère Jean-Pierre Filiu essayent de prendre du recul par rapport à cette date de l’attaque du Hamas contre Israël, car l’histoire n’a pas commencé là, loin s’en faut. Le journaliste modérateur de la soirée Thomas Legrand propose aux invités de dégager eux-mêmes leurs dates, de signifier ce qu’ils considèrent comme le début de la problématique israélo-palestinienne.
Quelles clés ?
Pour Jean-Pierre Filiu, un commencement peut être daté en 1917 avec la Déclaration de Balfour. Cette promesse de « foyer national » pour les Juifs qu’établit l’ex-ministre des Affaires étrangères britannique est en effet très déterminante pour la suite des événements. Elle préfigure l’établissement du mandat britannique sur la Palestine, la création de l’Etat d’Israël en 1947 par l’ONU.
Vincent Lemire remonte quant à lui beaucoup plus loin dans le temps, en s’intéressant à la genèse du sionisme chrétien. Celui-ci explique en partie le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël, à l’image de Truman qui au-delà d’avoir grandement aidé à la création d’Israël, se prenait réellement pour Cyrus, le roi perse qui permit le retour de la population juive à Jérusalem en 539 ! Aujourd’hui, comme le rappelle Vincent Lemire, 95% des armes israéliennes sont fournies par les Etats-Unis.
Parmi les autres dates et événements marquants mentionnés, on retrouve bien sûr la Nakba, cet exode palestinien de 1948 qui voit entre 700000 et 750000 arabes chassés de leurs terres. Face au discours de certains qui regrettent que les Palestiniens n’aient pas accepté le plan de partage de la Palestine de 1947, Vincent Lemire répond : « les acteurs ne peuvent faire qu’avec l’équation qu’ils ont sous les yeux ! ». En effet, avec notre regard actuel, il est facile de regretter qu’un accord n’ait pas été trouvé, or le plan était au désavantage des Palestiniens. Là est toute l’utilité du discours de l’historien qui rappelle que les acteurs s’inscrivent dans le présent et font des paris.
La solution sera politique ou ne sera pas
Dans l’enclave palestinienne de Gaza où les guerres et les massacres s’enchaînent, peut-on encore croire à une issue ? « Peut-on rester optimiste quand il y a deux messianismes politiques qui se font face ? », demande Thomas Legrand aux deux historiens. Au-delà du pessimisme ou de l’optimisme, Jean-Pierre Filiu s’en remet au politique. « Quels que soient les torrents de sang qui couleront, la solution sera politique » indique-t-il. A propos de la question israélo-palestinienne il ajoute à la surprise générale : « c’est compliqué mais c’est relativement simple, ce sont les fauteurs de guerre qui veulent tout compliquer ». Selon Vincent Lemire, la solution doit venir de la communauté internationale. « C’est elle qui a paramétré ce conflit, c’est elle qui doit s’interposer et le résoudre », juge-t-il.
Des vœux qui ne semblent malheureusement pas prêts d’être exaucés, à l’heure où Rafah se fait écraser dans un silence assourdissant.
RENAUD GUISSANI
La conférence Face à la guerre : Israël / Palestine s’est tenue le 15 février au Mucem, Marseille
Pour aller plus loin :
Lire Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n'a pas gagné. Histoire d'un conflit (XIXe-XXIe siècle) Jean-Pierre Filiu, Seuil, 2024