mercredi 2 octobre 2024
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Quelle culture dans l’Italie de Giorgia Meloni ?

Grand critique lyrique pour le quotidien italien de centre-droit La Stampa, le journaliste Alberto Mattioli publie La Destra Maladestra (« La droite maladroite »), un pamphlet contre la politique culturelle du gouvernement post-fasciste de Girogia Meloni. Entretien

Zébuline. Vous dénoncez dans votre ouvrage la politique culturelle menée par le gouvernement de Giorgia Meloni. Quel est le point de départ de ce livre ?

Alberto Mattioli. La thèse de mon pamphlet est qu’il y a un parti qui a été exclu de la vie démocratique de la nation depuis 80 ans, et qu’il s’en plaignait. En 80 ans, on pouvait supposer qu’il avait réfléchi à une quantité d’idées fortes, marquantes, à présenter à l’opinion publique. Alors qu’en réalité il ne se passe absolument rien, sinon l’occupation du plus de places possibles à la tête des grandes institutions culturelles.

Cette vague de nominations est-elle inédite ?

En Italie, c’est la règle que le personnel qui gère les grandes institutions culturelles soit nommé par le parti au pouvoir. La compétence a toujours été un surplus, l’important c’est la fidélité à son propre parti politique. Le problème ici, c’est que ceux qui occupent le pouvoir ne savent pas quoi en faire, c’est étrange. 

« Le populisme est le contraire de la culture, qui pense la complexité du monde »

Pouvez-vous parler de certaines de ces nominations ?

Ils ont par exemple choisi Pietrangelo Buttafuoco à la tête de la Biennale de Venise. C’est un intellectuel très droitier – qui a écrit de très beaux romans – et qui s’est converti à l’Islam. Sicilien, il voulait se rapprocher des racines anciennes de sa culture. Moi je n’ai pas été scandalisé par cette nomination – à la différence de beaucoup à gauche – mais ce qui me dérange et me choque, c’est que personne, ni le ministre, ni Buttafuoco lui-même, ne nous a dit ce qu’il voulait faire à la tête de la Biennale.

Ils viennent également de nommer Fortunato Ortombina à La Scala de Milan. Un homme de grande valeur, un ami à moi. Mais le seul commentaire du ministre de la Culture après cette nomination était qu’après deux Français et un Autrichien, La Scala avait enfin un Italien à sa tête. C’est ridicule.

Alberto Mattioli © X-DR

Comment peut-on expliquer cette incompétence ?

Par deux raisons selon moi. Cette droite est arrivée au pouvoir en soutenant des thèses populistes, les mêmes que le Rassemblement national en France. Mais le populisme n’est rien d’autre que la réduction de problèmes complexes à des solutions très faciles, élémentaires. Il est le contraire de la culture, qui pense la complexité du monde, en analyse les contradictions, les fractures. Si vous faites une politique qui est entièrement dominée par le populisme, alors évidemment vous avez un problème très grave avec la culture. Cette droite a aussi un problème d’identité. Alors qu’en Italie il y a eu le fascisme, une droite chrétienne, une pensée libérale conservatrice… cette droite n’a aucune identité. On ne comprend même pas d’où elle agît, même si ses racines sont sans doute dans le fascisme. Mais bien évidemment, ils ne s’en réclament pas.

« Il a dirigé un JT qui ferait passer un journal soviétique des années 1970 pour un modèle de pluralisme et de diversité d’opinion »

Au ministère de la Culture a été nommé Gennaro Sangiuliano. Pouvez-vous nous parler de lui ?

Il est napolitain et a débuté dans le Movimento Sociale, un parti d’extrême droite. Puis il est devenu journaliste à la télévision publique. Très marqué par la Ligue du Nord de Matteo Salvini puis de Giorgia Meloni, il a dirigé un JT qui ferait passer un journal soviétique des années 1970 pour un modèle de pluralisme et de diversité d’opinion : c’était de la pure propagande. Et il vient d’être récompensé par cette nomination. Il se pique aussi d’être un grand intellectuel : il est l’auteur de plusieurs livres [des biographiques de Reagan, Trump, Poutine et Xi Jinping notamment… ndlr] et est épris de Prezzolini qui fut l’un des grands écrivains libéral-conservateur italien du XXe siècle. Il le cite dans tous ses discours, tellement qu’on pourrait le soupçonner de n’avoir rien lu d’autre.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Les attaques du Gouvernement Meloni sur la culture :

Novembre 2022 : Tout juste au pouvoir, le Gouvernement adopte un décret-loi punissant jusqu’à 6 ans de prison l’organisation d’une Rave Party. « La fête est finie » se félicite Matteo Salvini, ministre des Infrastructures.
Novembre 2023 : Fan de Tolkien, Giorgia Meloni fait financer par l’État une exposition consacrée à l’auteur du Seigneur des anneaux. Certains y voient une symbolique du combat des racines chrétiennes contre le mal (Le Monde).
Novembre 2023 : Est placé au Conseil d’Administration du Piccolo Teatro de Milan Geronimo La Russa, le président local de l’Automobile club italien – sans lien avec la culture donc – mais il est aussi le fils du président du Sénat Ignazio La Russa, qui « conserve fièrement un buste de Mussolini à son domicile » apprend-on dans Libération.
Février 2024 : Vittorio Sgarbi, sous secrétaire d’État à la culture, démissionne après avoir été accusé de blanchiment d’œuvres d’art. Il a par ailleurs estimé que « les éoliennes représentent un viol pour le paysage comparable à celui des enfants ». (Le Monde)
Mars 2024 : Dans Libération, Giuseppe Giulietti, ancien secrétaire du syndicat journalistes de la Rai et de la Fédération nationale de la presse, explique que « l’occupation de l’audiovisuel public [par le pouvoir en place] est inédite y compris par rapport à l’ère Berlusconi ». « L’information est sous contrôle, les journalistes d’investigation sont sous pression. […] Plusieurs animateurs vedettes considérés comme hostiles ont été poussés vers la sortie », poursuit-il.
Avril 2024 : La Raï censure un texte de l’écrivain Antonio Scurati sur Benito Mussolini, dans lequel il parle des crimes du leader fasciste.

La Destra Maladestra, Alberto Mattioli
Éditions Chiarelettere
Non traduit
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