Si l’édition 2019 du Festival d’Aix marquait avec Tosca l’entrée de Puccini à son répertoire, l’édition 2024 ne pouvait pas passer à côté du centenaire de la mort du compositeur. La première le 5 au Théâtre de l’Archevêché de Madama Butterfly a répondu à toutes les attentes. Mais qu’attendre encore de cet ouvrage, l’un des plus populaires du répertoire lyrique ? Avant tout une Butterfly qui vous arrache le cœur ! Et un orchestre et un chef qui comprennent que Puccini est, sinon un grand mélodiste, pour le moins un fin coloriste. Ainsi qu’une mise en scène qui sache tenir le fragile équilibre entre la littéralité de la carte postale d’un Japon fantasmé et une lecture moderne. Et bien, ces trois fées se sont généreusement penchées sur le berceau de cette nouvelle production aixoise !
Ermonela Jaho
La soprano Ermonela Jaho met ses tripes sur la scène. Au salut final on la sent harassée, tant le rôle de Cio-Cio-San est écrasant. Gamine de quinze ans, vendue pour l’éphémère plaisir d’un occidental puis mère déchirée de souffrance quand on lui arrache son enfant (Dieu, que l’opéra est cruel pour les femmes !) Ermonela Jaho illumine la scène, irradie de tendresse et de douleur. Toute la science vocale, la splendeur du timbre, la délicatesse des aigus sont au service du personnage.
Le Pinkerton d’Adam Smith est un peu plus en retrait. Si vocalement les choses ont eu peu de mal à se mettre en chemin, il offre la silhouette d’un pâle dadais aux charmes vocaux indéniables. Lionel Lhote est un Sharpless généreux et attentionné. Son beau baryton souligne la noblesse du personnage. La fidèle servante Suzuki a le mezzo somptueux de Mihoko Fujimura. Le reste de la distribution est à la hauteur des enjeux : Carlo Bosi (Goro), Inho Jeong (l’oncle Bonzo, tout en insinuation) ou Kristofer Lundin (Le Prince Yamadori) ajoutent à la grande homogénéité du plateau.
Rigueur et raffinements
La direction musicale de Daniele Rustioni avec dans la fosse l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, nous rappelle qu’en 1907 Puccini était bel et bien un compositeur du 20e siècle. Que la science mélodique ne devait en rien celer le génie du coloriste. Que Puccini connaissait l’œuvre de Debussy. C’est une Butterfly nuancée, tissée d’un voile translucide, aérien, sans lourdeur aucune qui nous est donné à entendre d’une oreille qu’on pourrait dire neuve.
Dans sa mise en scène, Andrea Breth joue la rigueur du cadre du cinéma d’Ozu et les raffinements du théâtre nô. Masques inquiétants pour figurer la nombreuse famille, costumes (signés Ursula Renzenbrink), jeux d’ombres et de lumières, vols des grues animées par des marionnettistes (un rappel du drame de Nagasaki) offrent à l’œil le graphisme de l’ukiyo-e, le monde flottant de l’estampe japonaise, qu’accentue la lenteur des gestes et la finesse des images. Aix offre là une Butterfly d’anthologie.
PATRICK DE MARIA
Madame Butterfly
Les 10, 13, 16, 19 et 22 juillet
Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence