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La Prisonnière de Bordeaux ou la lutte des classes est-elle soluble dans la sororité ?

Le 20 août, à 20.00, Les Variétés présentent en avant-première le dernier long-métrage de Patricia Mazuy, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes 2024, qui imagine l’amitié éphémère entre deux femmes de détenus

Le titre du dernier long métrage de Patricia Mazuy, La Prisonnière de Bordeaux, pourrait être celui d’un conte de fée ou d’un roman de gare. Le film en assumera le romanesque tout en déjouant les attentes par trop mélodramatiques. Car, si l’action se déroule bien à Bordeaux, de prisonnière il n’y en a pas. Ou plutôt, il y a en deux. Mina et Alma, épouses de taulards, purgeant leur peine dans le même établissement. « Codétenues » hors les murs, comme se plait à le répéter avec humour Alma. Enchaînées à leur milieu, à leur histoire, au rituel administratif : attente, identification, tampons, appel, entrevues chronométrées en box fermés.

C’est à l’occasion d’un parloir qu’Alma (Isabelle Huppert) grande bourgeoise, ex danseuse, femme bafouée, désabusée, rencontre Mina (Hafsia Herzi), blanchisseuse à Narbonne où elle réside en logement social avec ses deux enfants. Alma vit dans un hôtel particulier bordelais luxueux, regorgeant de meubles et de tableaux très chers. Son mari, neurochirurgien éminent, a été condamné pour homicide involontaire, conduite en état d’ivresse et délit de fuite. Celui de Mina est l’auteur du braquage d’une bijouterie durant lequel un de ses complices a trouvé la mort. Mina doit faire trois heures de train pour avoir ce rendez-vous régulier. Alma va l’accueillir dans sa grande maison vide, plus proche de la prison, lui trouver un job dans la clinique privée dont son conjoint reste actionnaire.  Aucune charité dans cet acte. Alma dans le néant sentimental de sa vie solitaire et sans but, ressent une vraie attraction pour la jeune mère des cités. Aucune reconnaissance servile chez Mina qui accepte ce qui vient, les bons et les mauvais coups de l’existence avec une dignité qu’incarne à la perfection Hafsia Herzi.  Les maris, les enfants, le frère menaçant et brutal du braqueur mort, resteront au second plan. Ce que filme la réalisatrice, c’est le clair-obscur de la relation entre ces deux femmes que tout oppose sauf ces maris incarcérés et les questions sur l’avenir de leur couple respectif. L’une éclaire l’autre et réciproquement, sans que jamais, malgré les moments partagés, il n’y ait fusion. La réalisatrice saisit la fracture sociale dans les gestes utiles de la prolétaire qui nettoie, range, cuisine et ceux maladroits ou contraints de la bourgeoise désœuvrée. Dans un plan à la Buñuel,  les amis d’Alma, saisis frontalement une coupe à la main, découvriront Mina, l’assimilant immédiatement à une femme de ménage.

Beau travail sur les couleurs dû à Simon Beaufils. Et ce, dès le prologue particulièrement réussi,  où le plafond en miroirs d’un fleuriste multiplie les bouquets parmi lesquels la chevelure blond-roux d’Isabelle Huppert semble flotter, jusqu’à ce que son visage dévasté se tourne vers nous. Le rouge et le bleu de la demeure d’Alma, l’explosion multicolore des peintures, le blanc des blouses propres qui tournent autour de Mina. Les portes aux teintes primaires des parloirs… Motifs visuels auxquels s’adjoint le motif musical de la chansonnette mélancolique écrite pour le film par Amine Bouhafa.

 La lutte des classes est-elle soluble dans la sororité ? Il semblerait bien que non. Pour échapper aux liens toxiques, aux formatages sociaux, aux mauvais choix de vie, mieux vaut avoir les moyens comme Alma. Pour les autres, ainsi que le dit Mina, on fait comme on peut !

ELISE PADOVANI

En salles le 28 aout

Avant-première le 20 août à 20 h au cinéma Les Variétés en présence de la réalisatrice

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