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Le Ballet Preljocaj prend ses quartiers d’été

Annonciation, Torpeur et Noces se succèdent au Théâtre de l’Archevêché, et rappellent la vitalité immuable du chorégraphe

Après un crochet par le Château Lacoste le 20 juillet et deux re-créations de pièces des années 80, le Ballet Preljocaj reviendra sur la scène mythique de l’Archevêché avec une autre série de pièces courtes. 

Comme souvent, le goût de l’intime et de l’exploration du langage se mêlait à un univers moins (néo)classique qu’héritier d’une folie toute baroque. Ainsi, l’exclusivement masculin Un Trait d’Union (1989) déclinait les modalités et points de rencontre de deux interlocuteurs empruntés à une nouvelle de Sartre, et frisant la folie ; Larmes Blanches (1985), dans son choix de costumes, de rituels et d’échanges, puisait dans les accents précieux de Bach et Couperin.

Intemporelle incarnation

C’est bien cette grâce et ce maniérisme qui semble animer depuis sa reprise le pourtant très familier tableau d’Annonciation (1995). Donné en préambule de ce programme unissant des pièces pourtant séparées par trente ans d’écart, ce duo revêt pourtant, grâce au renouveau de ses interprètes, des traits inédits. Une complicité inédite semble opérer entre les deux duos incarnant Marie et l’archange. Contraintes d’œuvrer ensemble pour une force que l’on désigne en pointant vers le haut, dans ce goût du geste devenu signe emprunté au Trecento et déployé sur le registre du théâtre dansé, les deux femmes nouent une complicité émouvante car résignée. 

Complicité qui demeurera le fil rouge de cette trilogie où les corps des femmes, leur capacité d’engendrement mais aussi leur objectification se verront savamment scrutés.

Torpeur, création de 2023 conçue donc vingt-huit ans après ce duo canonique, déploie un effectif et des modalités d’interaction démultipliés. On se croirait, durant les premières minutes, revenus à une danse minimaliste proche de Lucinda Childs, scandée par les pulsations rassurantes d’une musique joyeusement répétitive dont les corps s’emparent avec frénésie. La danse lorgne aujourd’hui vers la désarticulation, le saccadé, la rétrogradation ? Qu’à cela ne tienne, semble répondre Angelin Preljocaj : les battements s’espacent, les gestes s’étirent, et les corps s’alanguissent. Si bien qu’il semble que ce sont eux qui imposent à une musique flottante leur propre rythme, et non pas celle-ci qui leur dicte quand et comment faire battre leurs cœurs. Les douze danseurs et danseuses se rapprochent, s’explorent dans un mouvement inédit de sensualité. Exit les pas-de-deux délimitant hommes et femmes : c’est presque uniquement en trios, puis entre hommes et femmes que tous s’unissent et s’accompagnent, comme les corps exultants de la pensée dans le récent et tout aussi réjouissant Deleuze/Hendrix.

Le rapt des mariées

On revient en fin de spectacle en 1989, année où le chorégraphe s’imposa comme une voix majeure de la danse contemporaine. Les Noces de Stravinsky avaient un peu voyagé, de la Russie paysanne du compositeur aux Balkans des origines de Preljocaj. 

Ces images ont la saveur inaltérée du cauchemar : une fois de plus, ce sont les yeux bandés que les jeunes mariées avanceront vers leur destin. Elles auront eu beau échanger regards entendus, caresses chaleureuses, quitte à s’emparer elles-mêmes de dociles poupées de chiffon, elles sortiront éternelles perdantes d’un jeu joué d’avance. Engoncés dans des costumes cravates soulignant leur air juvénile, les hommes semblent à peine moins perdus. On croirait pourtant presque, le temps de ces sauts du haut de bancs d’école, où les femmes s’élancent, tournoyant comme des toupies, qu’un autre monde, qu’un envol est possible. 

SUZANNE CANESSA

AnnonciationLarmes blanches et Un Trait d’union ont été dansés le 20 juillet au Château Lacoste

Annonciation, Torpeur, Noces
1er et 2 août
Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence

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Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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