Il y a d’abord un fait-divers, un incendie en haute montagne, puis une succession mystérieuse de disparitions. Les codes du polar croisent ceux du récit psychologique dans un récit à la fois classique et inclassable
Jason Sangor, héritier d’une usine de minerais des montagnes du Jura, assiste à l’incendie improbable de la commune de Cuisance, au nom prédestiné. Les éléments s’affrontent, durement, tandis que les habitants, sidérés, se réfugient où ils le peuvent. Le personnage principal se voit obligé de revenir, avec sa femme, dans la maison familiale, habitée par un père tout-puissant, capitaine d’industrie, et un frère en situation de handicap mental, voleur et collectionneur de pierres tombales.
Ce retour déclenche chez Sangor, un processus de remémoration complexe, dans lequel figures du passé et du présent se répondent : première famille du père, figure maternelle, premier amour… Toutes interagissent dans sa psyché, l’incendie ravivant des feux mal éteints : « La maison, je la connais, elle veut réinstaller l’enfant en moi ( ). Peut-être le feu ne voulait-il rien d’autre : abolir le temps. ».
Écritures blanche et noire
Plusieurs strates animent le roman ; description journalistique des événements et description poétique des éléments : feu, lac, boue, brouillard. Une attention au visuel donne son intensité particulière au récit, paysages magnifiques ou défigurés, tableaux d’un petit maître bisontin, tapisseries aux relents coloniaux de la maison du père. L’obsession du décor est la toile de fond qui relie les vivants et les morts, la réalité et l’hallucination ; elle constitue, pour l’autrice, une solution d’écriture saisissante : « Gris-violet les pavots velus de la tapisserie, gris crevasse les espaces entre les lés fendillant les murs de haut en bas ». Le vocabulaire, volontairement terroir, contribue à ancrer le récit dans les racines profondes qui attachent Sangor à son territoire.
FLORENCE LETHURGEZ
Cartographie d’un feu de Nathalie Démoulin
Denoël, 145 pages, 17 €.
Sorti janvier 2024