Depuis le déboulonnage en règle de David Bobée, Don Juan a perdu les derniers restes de son aura de héros. L’homme libertin, c’est à dire athée au XVIIe siècle, l’homme courageux, c’est à dire qui défend son honneur de noble par l’épée, est apparu comme lâche, dominant, sexiste évidemment, méprisant, méprisable en tous points.
Macha Makeiëff s’inscrit dans cette démarche de démystification du « grand seigneur/méchant homme ». Comme Bobée, elle fait remplacer « tabac » par « théâtre » dans le monologue d’ouverture de Sganarelle (formidable Vincent Winterhalter) qui bégaye et plastronne, campant le personnage du valet, à la fois complice et réprobateur, dès les premières minutes. Mais la métaphore du théâtre se poursuit, et les personnages ne sont jamais dans le réel : ils surgissent du décor à double fond où ils semblent tous épier, pour le détruire, la bête malfaisante que tous réprouvent. Sganarelle naviguant d’un espace à l’autre, intercesseur entre la scène et le public, comme le faisait sans doute Molière, qui jouait le valet.
Enfermé au boudoir
Théâtre dans le théâtre, Dom Juan devient un huis clos : le libertinage du prédateur n’apparaît plus comme la libre-pensée du XVIIe siècle, mais comme une « liberté » sexuelle que Macha Makeiëff transpose, pour mieux la dénoncer, dans une ambiance fin de siècle (le XVIIIe), une alcôve, un boudoir, des portes dérobées.
Là, Don juan, enrubanné mais aussi négligé, apparaît sous les traits d’un stupéfiant Xavier Gallais, qui parvient à n’être, à aucun moment, grandiose ou désirable, jouant avec une abnégation dont peu d’acteurs sont capables un personnage détestable, faible, sans panache, et clairement sadique, violentant les femmes et son valet.
Ainsi Makeïeff démine un à un tous les préjugés qui parcourent le texte : Piarrot le paysan manie une langue claire et belle, les proverbes enfilés de Sganarelle prennent sens, et le mépris linguistique de Don Juan apparaît comme une malsaine domination de classe. Et de genre : Charlotte et Mathurine, les paysannes, deviennent des comédiennes jamais dupes de leur séducteur, qui ne les séduit pas, et Elvire dit « non ».
Quant au patriarcat, il signe là son arrêt de mort : le commandeur est une femme trompée et non l’incarnation virile du courroux céleste. Et Don Luis, le père de Don Juan qui représente dans le texte l’honneur de la noblesse, apparaît comme un pervers ridicule et crédule, incarnation d’un patriarcat sans bienveillance qui génère des monstres.
Don Juan est mort « et voilà par sa mort un chacun satisfait », conclut le valet.
AGNÈS FRESCHEL
Dom Juan
6 décembre
Théâtre de l'Esplanade, Draguignan