mercredi 11 décembre 2024
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PRIMED, 30 ans de peines

Dans 30 années avec Chadia et ses filles, un documentaire au (très) long cours, Leyla Assaf-Tengroth expose l’intimité d’une famille syrienne, entre patriarcat toxique et conflits au Moyen Orient

C’est un documentaire à la première personne. Leyla Assaf-Tengroth raconte tout à la fois une expérience de documentariste qui s’étend sur trois décennies, et à travers la parole recueillie, le destin d’une famille syrienne exilée au Liban. Tout commence en 1975, la réalisatrice libano-suédoise tourne un film sur les enfants des rues à Beyrouth. Elle caste Rim une vendeuse à la sauvette de 9 ans. Effrontée, rebelle, vive, libre malgré sa misérable condition, Rim sera la figure principale de son film. Leyla initie une relation privilégiée avec sa famille, des réfugiés syriens ayant fui la guerre et qui s’entassent dans un garage de banlieue. Elle emmène Rim en tournée de promotion du film et finance l’éducation de cette enfant analphabète. « Un avenir radieux  l’attendait » dit-elle. Oui, mais à 13 ans Rima est mariée par son père à un cousin qui a le double de son âge. Elle se voile, devient mère et se soumet à la loi maritale. Leyla Assaf Tengroth documentera tout ce qui suit.

Les mariages de ses sœurs. L’une après l’autre : Ramia, Dalida, Safia, Safah. Mariages forcés ou choisis au prix de haute lutte comme celui de Dalida qui refuse le promis attribué et frôle la mort sous les coups paternels, avant d’obtenir la permission d’épouser César, un chrétien. Mais d’arrangement ou d’amour, le mariage enferme les femmes : maternités nombreuses qui leur imposent de rester quand elles voudraient partir, de supporter la violence de leurs époux, puis leurs incartades quand elles sont trop vieilles. Chadia voit son mari devenir volage après 15 enfants et 35 ans de vie commune. On entend la détresse de Safah que le sien a abandonnée pour combattre l’armée de Bachar el-Assad et dont la belle famille veut récupérer de droit, la fille.

Le désespoir de Safia qui a placé ses cinq enfants en internat pour les éloigner des coups quotidiens de leur père. Les logements sont plus confortables, la misère moins grande mais le malheur demeure. On entend les maris justifier les traditions sévères conformes à la loi de Dieu, leur droit de vie et de mort sur leurs enfants et leurs épouses. En filigrane se dessinent les humiliations qu’ont dû subir ces hommes qui ne sont dominants que dans leur maison et abusent de ce pouvoir. Le drame de la guerre, de l’exil, de la misère, des campements de fortune sur occupés, du rejet par une partie des Libanais de ces immigrés aux enfants trop nombreux et qui, peu à peu, s’installent durablement, est partagé par tous.

Mourir au Liban

Mais les femmes subissent de plus la toxicité patriarcale, l’intériorisent. Parfois la transmettent. L’histoire de Chadia et de ses filles est celle d’un exil cruel, de la destruction du paradis originel que représentait leur maison villageoise de Tell Kalak mais aussi de l’enfer domestique qui transforme des petites filles rieuses en femmes éplorées. Les questions de la réalisatrice tentent la neutralité mais les réponses qu’on entend sont à hurler de colère. Elle ne commente pas les grands événements politiques qui jalonnent la période, reste sur leurs conséquences dans la vie des familles. Elle constate la faillite du Liban, voit son appartement de Beyrouth exploser en août 2020, perdant elle-aussi son « paradis ». « Il s’est passé beaucoup de choses en trente ans mais presque rien n’a changé » dit Chadia à la fin du documentaire, devant la tombe de sa mère qui a voulu retourner en Syrie et repasse agonisante la frontière à dos d’homme pour mourir au Liban.

ÉLISE PADOVANI

30 années avec Chadia et ses filles de Leyla Assaf-Tengroth a obtenu le Grand Prix Enjeux méditerranéens au festival Primed.

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