Printemps 68. À Montréal, Gil Kemeid, jeune étudiant de 22 ans, n’a qu’une idée en tête : faire le tour de l’Europe en Vespa jusqu’au Moyen Orient, à la recherche de ses origines. Avant son grand départ le jeune homme fils d’immigrés chrétiens maronites tombe follement amoureux de Carole, une étudiante qui deviendra son épouse et la mère d’Olivier. Lors de son périple, il lui écrira plus d’une centaine de cartes postales pour qu’elle partage son aventure et ne l’oublie pas. Cinquante ans plus tard, après avoir découvert cette correspondance, Olivier Kemeid, figure majeure de la scène littéraire québécoise, s’empare de de cette odyssée familiale : « grâce aux cartes postales, j’ai passé douze mois à rouler avec mon père, le vieux monde derrière nous ». Tendre, touchant, le récit de ce Don Quichotte levantin lancé sur sa « rossinante » à moteur, qui se retrouve bien malgré lui confronté aux bouleversements de la grande histoire, est surtout follement drôle. Lui, pour qui le général de Gaulle est encore un héros, se retrouve à Paris en Mai 68 bien désappointé « Les Français sont parmi les gens les plus stupides de la Terre. Tout est bloqué. Il n’y a ni train, ni autobus, ni bateau, ni banque, ni lettres. Bientôt il pourrait n’y avoir ni (il souligne) nourriture ».
On le retrouve dans une auberge de jeunesse dans la cité phocéenne « Marseille est très sympa » écrit-il laconique sur une carte postale légendée Marseille Carrefour du monde. Et puis ce sera Monaco, Cannes « où les gens sont snobs », Briançon, Chamonix, puis Gstaad, Strasbourg, Liège, Brest, Biarritz, l’Espagne, le Portugal « où les conducteurs de voiture s’évertuent à jouer du klaxon pour tout et rien », Gênes, Venise, Rimini, la Yougoslavie, la Turquie, la Macédoine, la Transylvanie. Autant de destinations, autant de mésaventures. Mais il n’arrivera jamais à Beyrouth, destination première de son voyage
Olivier Kemeid entrelace les multiples événements politiques internationaux de l’époque avec une érudition exceptionnelle et les péripéties rocambolesques de son « sarrazin de père », enthousiaste, naïf et sacrément conservateur, « qui voit des communistes partout et des “rouges” cachés sous les canapés ». En illustration quelques-une de ces fameuses cartes postales exhumées de ce vieux monde laissé derrière lui.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le vieux monde derrière nous, Olivier Kemeid
Arthaud - 19,90 €