« Un gadjo est en train de me filmer ! » Le gadjo c’est Giovanni Princigalli qui a déjà filmé Aïda, 20 ans auparavant. « En 2001, j’ai fréquenté pendant une année, une famille de Roms roumains très traditionnaliste, patriarcale et marginalisée. Cette famille vivait dans des baraques dans une banlieue de Bari [en Italie… 20 ans après je les retrouve. »
Aïda était alors une adolescente lumineuse, pleine de rêves, souriant à la vie. Amoureuse de Léonardo Di Caprio, elle voulait devenir mannequin. Giovanni Princigalli donne à voir ses yeux pétillants et son sourire. 20 ans plus tard, c’est une femme, fatiguée, comme prisonnière du clan et de Zeus, l’homme à qui ses parents l’ont mariée, de force. Le mariage ressemblait à des funérailles, commente-t-elle. Zeus qui ne l’aimait pas non plus, la maltraite, la trompe, et l’insulte, même par téléphone quand il est loin, entre l’Angleterre et Craiova où il construit la maison. Hors de question qu’elle divorce pour ses parents qui, pourtant, représentés la gauche dans une élection locale – où ils étaient d’ailleurs les premiers roms à s’y présenter. Aïda, de plus en plus dépressive, enfermée dans cette vie, dans son manque d’amour, fait un troisième enfant pour « retrouver l’envie de vivre »…
La chanson d’Aïda qui oscille entre passé et présent, entre lumière et ombre, non seulement nous plonge en immersion, dans le camp de Roms, sans cesse nettoyé, balayé, rangé, par les femmes de la communauté qui assument bien des tâches, mais aussi dans l’intimité de ceux et celles qui y vivaient déjà 20 ans auparavant. Ils sont toujours là. Le père d’Aïda, le chef du camp dont il se sent responsable, toujours amoureux de sa femme. Pour elle, Ligia, qui n’a pas eu le choix de son mari, tout comme sa fille, l’important est d’être sincère l’un envers l’autre. Une mère qui confie à sa fille qu’elle aussi a eu une dépression : une belle séquence de complicité tendre. Le regard de Giovanni Princigalli sur ses protagonistes toujours bienveillant et incisif, ne juge pas et laisse aux spectateurs le choix de plaindre et/ou d’admirer Aida : « Je te jure que je lutte pour mes 3 enfants. Je ne veux pas les voir souffrir comme j’ai souffert. Je veux pouvoir les aider ! »
Habilement tricoté, entre les images de son premier documentaire consacré aux Roms, Japigia Gagi, celles qu’il a tournées en 2021 et quelques séquences d’animation, ponctuées par quelques chansons dont l’entrainante Rumelaj de Faraualla ou la délicieuse Nié bouditié de Bratsch et Lhasa lors de la veillée autour du feu, La chanson d’Aïda est aussi une histoire de lutte. Celle d’un peuple qui, depuis des années, tente d’exister, de se battre contre les préjugés. Un carton à la fin nous rappelle que dans les années 1940, le régime fasciste a bâti sur le territoire italien 23 camps de concentration pour les Roms et qu’entre 500 000 et un million d’entre eux ont été massacrés. « Aujourd’hui encore l’Italie semble être le pays où les sentiments anti-Roms sont les plus généralisés malgré une population rom assez faible »
Giovanni Princigalli a dédié son film, d’une grande humanité, au sociologue et député Franco Cassano, né à Bari et décédé fin 2021, dont il a été l’élève. La Chanson d’Aîda a obtenu le Prix du meilleur documentaire au Salina Doc Fest qu’organise chaque fin d’été Giovanna Taviani et a été presnté dans le cadre du PRIMED.
ANNIE GAVA