L’exposition commence par un homme de dos, les bras en croix, face à un ciel ouvert. Geste d’accueil, immense. À la fin du parcours un autre panneau, plus discret, rend hommage au pape François, « seul chef d’État à avoir pris une position univoque », comme dans son discours de Marseille en 2023 : « Cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où seule est ensevelie la dignité. Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et les fanatismes de l’indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation. »
L’exposition accueillie sur le parvis de la mairie par la Ville de Marseille dans le cadre des Assises Méditerranéennes du Journalisme [voir ci-contre] n’a pourtant rien de religieux, si ce n’est un appel à l’empathie, à la solidarité et au partage. Mais vers quel ciel se tourner quand les politiques nationales, européennes et internationales bafouent le droit international et les droits humains ?
Compter chaque vie
Sophie Beau (co-fondatrice et directrice générale de l’ONG) le rappelait lors de l’inauguration : « Notre mission repose sur le strict droit international mais nous sommes attaqués, diffamés et ceux qui nous viennent en aide s’exposent. Sauver des vies est devenu criminel. »
Pourtant, sans SOS Méditerranée, 41 944 personnes de plus seraient mortes en mer Méditerranée.
« Aucune de ces vies n’est un chiffre, chaque vie compte », répète la fondatrice de l’association.
« 41944 vies, dont 5 876 femmes, dont 126 femmes enceintes.
41944 vies, dont 10 066 mineurs, dont 7 953 voyageant seuls. Et 641 enfants de moins de 5 ans. Plus 6 bébés nés à bord. »
Face à cette précision, un tableau des morts en mer, dont les fluctuations annuelles laissent mesurer l’inexactitude : n’y sont répertoriés que ceux dont les cadavres ont été retrouvés, ou les départs attestés. Une addition de 30 000 morts, dont « chacun compte », là aussi, mais dont les contours demeurent vagues, enfouis dans le silence de la mer.
Dix ans d’histoire
L’exposition Save Our Souls se décline en plusieurs tableaux qui se répondent : des images très fortes de nombreux photographes embarqués à bord complètent des explications sur les missions et les obstacles : se former, scruter, secourir, accompagner sur le bateau puis jusqu’à un « port sûr ». Un panneau émouvant, intitulé « l’enfer libyen », trouve son écho dans les panneaux explicatifs qui pointent les manquements de l’Europe.
En effet l’Union européenne ne cesse de durcir ses lois. Après le drame de 2013 à Lampedusa, l’Italie avait, grâce à l’opération de sauvetage Mare Nostrum, sauvé 150 000 vies en Méditerranée centrale puis mis fin à l’opération faute de soutien européen : d’une part la procédure Dublin (appliquée depuis 2014) oblige les pays qui enregistrent l’arrivée des réfugiés à les garder sur leur territoire, d’autre part l’Europe n’a pas financé Mare Nostrum, laissant L’italie gérer seul les flots migratoires.
Ce financement, l’Europe préfère, depuis 2017, le réserver aux garde-côtes libyens (200 000 millions d’euros). Ceux-ci interceptent les embarcations en mer (21 000 personnes ramenées en Libye en 2024) et les enferment dans des camps où ils sont affamés, forcés au travail, violentés et les femmes systématiquement violées. Puis renvoyés en mer, de gré ou de force.
Les rapports des ONG, mis aussi la condamnation par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies, précisent que la Libye n’est en aucun cas un port sûr, comme la Tunisie ne l’est plus pour les réfugiés subsahariens, qui empruntent des routes migratoires où ils sont exposés à des violences extrêmes, abandonnés sans eau dans le désert ou méthodiquement emprisonnés et rançonnés. Quel que soit le motif de leur départ, persécution, guerre, famine, discrimination « on ne choisit jamais l’exil par plaisir », rappelle Sophie Beau. Encore moins quand il expose à tant de danger et que la survie est l’exception.
Depuis 2018 et la fermeture des ports italiens aux navires de sauvetage, la mortalité en Méditerranée centrale ne cesse d’augmenter, et le secours en mer d’être criminalisé. Les blocages en mer en attente de l’assignation à un port, mais aussi les trajets pour aller vers les ports, s’allongent, rendant les sauvetages de plus en plus coûteux depuis le décret Piantedosi (2023). Les navires de sauvetage sont de moins en moins fréquents en Méditerranée centrale, alors que les humains qui empruntent ces routes sont tout aussi nombreux : toutes les enquêtes démontrent que le nombre de départ est constant, qu’il y ait ou non des navires pour recueillir les bateaux en détresse.
Un soutien affirmé de Marseille
C’est pourquoi le soutien des citoyens, mais aussi le soutien politique et médiatique, est précieux pour l’ONG. Lors de l’inauguration, Sophie Beau rappelait l’action de la Ville de Marseille, organisant grands concerts et expositions, attribuant des aides financières directes.
Jérôme Bouvier, président de l’association Journalisme et Citoyenneté, rappelait que la presse libre et indépendante est confrontée à des difficultés similaires : victime d’entreprises de désinformation mais aussi de décisions politiques, « sur toutes les rives de la Méditerranée », qui remettent en cause « les droits humains et les démocraties. […] Les vents qui soufflent sur nous sont terrifiants. »
Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture, affirmait que les «engagements communs visent à faire prendre conscience de l’urgence humanitaire, de notre responsabilité collective envers toutes les victimes. »
Rappelant Gyptis et Protis, mais citant aussi longuement Umberto Eco, il concluait : « Marseille est et doit rester une terre d’accueil pour toutes les femmes et tous les hommes, et particulièrement pour celles et ceux qui sont confrontés aux guerres, aux exactions ».
AGNÈS FRESCHEL
Save Our Souls
Jusqu’au 22 mai
Visites guidées les samedis
Place Bargemon, Marseille

Dîner solidaire
Les Grandes Tables de la Fiche organisent un dîner solidaire le 16 mai au profit de SOS Méditerranée. Le repas est à 39 euros, et la recette devrait permettre de financer 58 000 repas à bord : ceux des rescapés. Soit un an de nourriture. À chaque table, un membre de SOS Méditerranée parlera avec les convives de l’alimentation d’urgence.
Site ici
AGNÈS FRESCHEL