« Je voudrais savoir pourquoi toutes ces choses sont belles » C’est le projet que Frère Marie-Victorin expose à Marcelle Gavreau quand il la rencontre. Elle en fera des années plus tard la devise de l’Ecole de l’Eveil qu’elle initie en 1935.
Frère Victorin, auteur d’un ouvrage de référence sur la flore laurentienne, fondateur du Jardin Botanique de Montréal est un universitaire charismatique très connu au Québec.
Marcelle, bien à l’étroit dans la condition faite aux femmes de l’époque – sans droit de vote, orientées vers les Humanités plus que vers les Sciences, cantonnées aux métiers d’auxiliaires et vouées in fine au mariage et à la maternité, fut sa brillante élève, sa secrétaire, sa disciple, son âme-sœur, son alter ego, son amour impossible, célibataire jusqu’à sa mort.
Ces deux-là, rescapés de la tuberculose, sont émerveillés par le monde et la vie, portés par leur foi commune au Ciel mais aussi à la Nature comme œuvre divine. Tous deux pensent que l’amour s’incarne. Que rien de ce qui a été créé, les fleurs comme le sexe, n’est laid. Que le mal c’est l’incuriosité, et le diable, la frustration et le secret imposés par les dogmes.
Lyne Charlebois est fascinée par l’histoire entre le Religieux et la jeune femme, par leur amour persistant qui n’effeuille jamais la marguerite, par leur riche relation épistolaire. Bondieuseries et considérations très crues sur le sexe, propos convenus et discours amoureux quasi extatique, coexistent dans ces échanges bien peu conformistes mais ancrés dans leur époque. On retrouve cette coexistence dans le film qui passe du biopic bien sage à des scènes torrides de désirs domptés mais acceptés.
Apprendre à voir
La réalisatrice choisit de lier les années 30 à notre présent, de proposer un film dans le film. De glisser sur le tournage, d’intervenir dans son propre rôle et de basculer les relations amoureuses des personnages sur celles des acteurs : Antoine joue Frère Marie-Victorin ( Alexandre Goyette); Roxanne joue Marcelle (Mylène Mackay). Antoine et Roxanne finissent une relation adultère, passagère, douloureuse, de « sexe sans amour », tout en donnant corps à l’amour sublimé de Marie-Victorin et de Marcelle, sans sexe, sensuel, éternel. La romance du présent ne pèse pas grand-chose face à celle du passé. Parfois les époques semblent converger, révélant des constantes. Ainsi lorsque Marcelle avec un sérieux scientifique dénué d’affects et d’artifices de langage, interroge ses amies mariées, sur leur plaisir (ou non-plaisir) hétéro qu’elle cherche à définir.
Le film parfois trop bavard sent un peu l’hommage. Son plus grand intérêt est sans doute de placer le regard au centre du projet. Celui de Marcelle et Marie-Victorin qui photographient le monde, le dessinent, pour mieux le définir en mots et concepts. Celui du spectateur saisi par la beauté des arbres, des feuilles, des algues, des fleurs vives, frémissantes ou séchées, collées sur les pages d’un herbier.
Le poème de Rimbaud « Sensation », infuse de bout en bout ce film qui se conclut en quatrain :
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien
Par la Nature, heureux comme avec une femme.
ELISE PADOVANI
Dis-moi pourquoi les choses sont si belles de Lyne Charlebois
En salles le 20 août