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Femmes inspirantes

La réalisatrice franco-tunisienne Erige Séhiri a présenté son dernier film Promis le ciel au festival africain d’Apt. Zébuline l’a rencontrée

Vos films sont souvent inspirés par des rencontres ; comment vous est venue l’idée de Promis le ciel que vous avez co-écrit avec Anna Ciennik et Malika Cécile Louati ?

L’idée du film a germé en 2016 : j’avais réalisé un documentaire sur des étudiantes de Côte d’Ivoire et du Cameroun qui venaient étudier en Tunisie. Je trouvais intéressant que la Tunisie soit une terre d’accueil, un lieu pour de futures ingénieures. C’était déjà le cas, il y a 20 ans. Ces étudiantes m’avaient raconté que l’expérience de leurs parents qui avaient étudié en Tunisie était tout autre ; eux vivaient beaucoup de racisme et de xénophobie, ce qui n’était pas le cas 20 ans auparavant. Je me suis dit que tout pouvait basculer dans une société ; c’est le cas aussi en Europe. J’ai commencé à m’intéresser à cette question et avec Malika, on a fait des recherches ; un peu plus tard, j’ai revu une amie journaliste qui m’a dit qu’elle était aussi pasteure. Petit à petit on a commencé à écrire et après, Anna nous a aidées à structurer les choses. Le scenario a évolué au cours du tournage.

Comment avez-vous construit vos personnages féminins et aviez-vous en tête vos actrices au moment de l’écriture du film ?

Non. Au départ, je voulais faire jouer une vraie pasteure puis je me suis dit qu’il fallait une comédienne assez charismatique et j’ai pensé à Aïssa Maïga.  Car le personnage porte à bout de bras une communauté : elle doit jouer un double rôle car le rôle de pasteur, c’est déjà un rôle dans la vie ; elle doit jouer aussi le rôle de celle qu’elle était avant, quand elle s’appelait Aminata et qu’elle était journaliste. Déborah Christelle Naney, je l’ai rencontrée à Tunis en faisant un casting sauvage et Laetitia Ky sur Instagram. Et la petite Kenza dans une église évangélique. C’est très varié ! Je me laisse porter pendant mon travail de recherche à ces rencontres. Je suis en attente de ces rencontres, de ces coups de cœur qui vont venir chambouler le scénario que j’ai écrit au départ.

Votre film, très riche, aborde plein de thématiques différentes ; évidemment la condition des femmes subsahariennes en Tunisie mais aussi le rapports femmes/ hommes, le rapport à l’argent, à la maternité, la situation sociale, sans didactisme :  ce n’est pas évident de traiter tout cela ! quelle est votre recette ?

(Rires) C’est juste en faisant beaucoup de recherches, en travaillant en immersion avec ces femmes et en créant des scènes qui retracent ce à quoi elles sont confrontées dans leur quotidien ; en condensant les choses comme si c’était un moment de leur vie ; on n’a pas besoin d’avoir de l’empathie pour les histoires des autres. Il suffit que l’une éclaire l’autre sur la trajectoire des femmes subsahariennes et de cet entre-deux   dans lequel elles se trouvent : entre les portes de l’Europe, l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Coincées dans une vie provisoire, en attente de décisions politiques, de questions administratives. Tout cela se mélange parce que dans la vie, on n’est pas compartimenté comme on peut l’être dans les films : quand il y a une histoire on se concentre sur l’histoire ; dans la vie on doit gérer plusieurs éléments et j’aimais bien que ce soit un peu comme cela.

(C)Jour2 fête

Vous avez réussi à ce qu’on s’intéresse aussi bien Marie qu’à Naney et Jolie même si elles sont très différentes

Elles racontent toutes les trois quelque chose de trèsdifférent Marie, une intellectuelle qui a décidé de devenir pasteure sûrement parce qu’elle a vécu quelque chose de trouble, de grave dans sa vie. Elle porte à bout de bras une communauté et elle est assez fragile, ambiguë parfois. Elle gère cette église comme une petite PME. On sait peu de choses sur son passé mais on devine. Jolie est une étudiante ; elle a sa carte de séjour et pense qu’elle n’a rien à voir avec les migrants. Naney est un électron libre entre la rue, l’église, le jour, la nuit ; c’est pour cela qu’on s’attache beaucoup à elle ; Et la petite Kenza est une enfant de 4 ans, très intelligente et qui a beaucoup d’humour.

Et comment avez-vous travaillé avec cette petite fille ?

Elle est extraordinaire dans la vie ! parfois il fallait être patient : c’est une enfant. Parfois elle était fatiguée, parfois trop joyeuse pour le rôle. J’ai passé beaucoup de temps avec elle avant le tournage ; j’allais la voir chez elle, je l’emmenais au parc. Ainsi j’ai créé un lien de confiance comme avec les autres acteurs. Par exemple la manière dont elle regarde Jolie, très froide avec elle. J’ai demandé à l’actrice d’être vraiment froide avec elle-même en dehors du plateau. A Aïssa, j’ai demandé d’avoir un peu un rôle de maman. Cela a favorisé les rapports.

Et les hommes dans tout ça ?

Les femmes migrantes sont souvent seules et les hommes gravitent autour. Ce sont des Tunisiens comme le propriétaire de la maison, qui est là. Foued, l’ami de Naney : on ne sait pas trop la relation qu’il entretient avec elle. Ce ne sont pas des liens aboutis. C’est pour cela que j’emploie le mot « graviter ». Quand on est dans un pays étranger, on est vulnérable et les gens qui s’approchent sentent cette vulnérabilité et s’en servent. Sans les diaboliser, ils regardent d’abord leur intérêt.

La caméra de votre directrice de la photo, Frida Marzouk,cadre souvent vos personnages de très près. Comment avez -vous travaillé avec elle ? Avez-vous regardé ensemble des films, des photos, des tableaux ?

Non ! Cela avait été le cas pour mon film précédent Sous les figues  ((https://journalzebuline.fr/une-jeunesse-mi-figue-mi-raisin/) mais là non ! Il y a eu très peu de préparation. On a tourné sur le vif. On s’inspirait du réel. On n’avait pas le temps. Pour le cadre, on a utilisé un format large, en scope qui sert plutôt à filmer les paysages mais pour moi les paysages, c’était les visages. On filmait de très près, ce qui donnait cet effet de portrait mais aussi comme si les femmes étaient dans un grand espace, enfermées. Frida est venue avec moi dans les églises. En fait, oui on a regardé ensemble un film, Moonlight de Jenkins qui a beaucoup de couleurs bleues. On a pensé à utiliser une palette chromatique dans le bleu et le rose : le bleu du ciel et de la mer, et le rose comme la robe à paillettes de Naney. Ces deux couleurs sont celles du crépuscule. Le film est à la lisière du jour et de la nuit comme leur vie ; On n’a pas l’habitude de voir ces couleurs-là dans le cinéma africain. C’est un film africain mais aussi tunisien et le crépuscule tunisien a ces couleurs-là. Je voulais aller vers la froideur ; ce que ces femmes ressentent dans ce pays qui ne les accueille pas.

Le titre : Promis le ciel : Alors le ciel, promis pour qui ?

Toutes les promesses qu’on se fait les uns aux autres, les promesses d’un état à ses citoyens, les promesses d’une pasteure à ses fidèles, d’une mère à son enfant, les promesses de l’amitié et de la solidarité : toutes ces promesses-là qui sont abordées dans le film : « On m’a promis le ciel, en attendant je suis sur la terre, à ramer. » c’est cette chanson du groupe Delgres que j’ai découverte à la radio et qui reflétait le film et qui devait y être ; ce que j’ai demandé au groupe. Une chanson qui a donné son titre au film.

Votre film a fait l’ouverture d’Un Certain Regard au Festival de Cannes 2025, a remporté plusieurs prix dans les festivals. Cela doit vous ouvrir facilement des portes pour la production de votre futur film ?

On m’avait déjà dit cela après Sous les figues. Le film suivant est souvent plus ambitieux, plus difficile à financer donc. Promis le ciel a été fait plus vite en deux ans.  J’espère juste que ce qui va être soutenu est mon processus de travail. En France les financements restent toujours liés au scenario, qui doit toujours être écrit et récrit…J’essaie d’expliquer que tout ne peut s’écrire au scenario. J’espère qu’on fera confiance à ma démarche. Le 3ème volet qui est aussi sur les femmes au travail en Tunisie, traitera d’un métier, d’un univers qu’on connait très peu. Je n’en dirai pas plus… Ce qui m’importe aujourd’hui est que Promis le ciel soit vu, qu’on puisse en discuter, qu’on puisse regarder d’autres perspectives de la migration que celles qu’on a l’habitude de voir ; toute l’Afrique voudrait venir en Europe !  alors que c’est beaucoup plus complexe que ça.  En Europe, on entend qu’on veut remplacer l’ADN chrétien par l’ADN musulman. Les islamistes disent que les chrétiens veulent remplacer l’ADN musulman par l’ADN chrétien !!!Je montre l’absurdité de cette situation sans oublier la pression européenne sur la Tunisie. Bloquer la migration en protégeant les frontières. Le film n’est pas aussi dur que ce qui se passe dans la vie. Le quotidien de certaines femmes est beaucoup plus difficile que ce que je montre. J’ai choisi une famille recomposée plus confortable que d’autres. Ces femmes ne sont ni des héroïnes, ni des victimes. Elles sont pleines de vie, de vitalité. Des femmes INSPIRANTES !

Entretien réalisé à Apt le 9 novembre 2025 par Annie Gava

Lire ICI la critique du film

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