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À une absente

La fugue d’Anna, premier roman vibrant du Sicilien Mattia Corrente

« Regarde-moi, Anna. J’ai mis mon jean délavé que tu détestais tant ». C’est à son épouse disparue depuis un an que Severino s’adresse ici. Et c’est à elle qu’il s’adressera tout au long d’un récit vibrant et polyphonique : un périple explorant sa Sicile natale à la recherche de son amour perdu. De Stromboli, l’île sur laquelle ils s’étaient établis, à Librizzi, leur ville natale, l’époux délaissé explore à rebours ce couple construit sur une série de rancoeurs et de malentendus. Moins solaire, moins solide que sa jumelle Nina, Anna menaçait pourtant de fuir dès le jour de son mariage. « Moi, je serai malheureuse toute ma vie », annonce-t-elle à un Severino bien trop énamouré pour l’abandonner ici. L’ombre de Peppe, père déserteur d’Anna, plane sur cette existence mélancolique comme un mauvais souvenir, mais aussi comme la promesse d’une autre vie. « Il faut quand même du courage pour s’enfuir et ne plus revenir, pour essayer d’être quelqu’un d’autre tant qu’on est encore en vie », conclura ce dernier.

Peinture précise

Le rêve d’une vie loin des contraintes de la vie de famille et de ces foyers étouffants du Sud, où l’amour ne semble jamais être une option pérenne, traverse cette fugue à plusieurs voix. « L’amour vient avec les enfants », promettra la mère, Serafina, à une Anna perplexe. Loin des joies qui lui avaient été promises, le chemin vers la maternité sera, lui aussi, douloureux. Donner de la voix à une absente, disparue à elle-même avant même de s’être soustraite aux autres, est une des belles idées au cœur de ce premier roman. 

Diplômé en philosophie et en sciences humaines, installé dans la province de Messine, Mattia Corrente s’est déjà vu saluer en Italie des prix du Parco Majella et du Città di Erice pour sa peinture précise et inspirée d’une région à l’histoire aussi lourde que ses paysages demeurent sublimes. Pour les servir, un sens aigu de l’image et de la réminiscence, mais également de la formule, se déploient tout au long du texte – on devine, pour servir le style sans jamais le dénaturer, un très beau travail de traduction par Jacques Van Schoor.  

SUZANNE CANESSA 

La fugue d’Anna, de Mattia Corrente
Bruit du Monde - 23 €
Traduit de l’italien par Jacques Van Schoor 
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Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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