Il est des moments où il faut choisir. Ce que l’on va mettre en Une (rugby ou gazaoui?), quelles manifestations on va soutenir ou interdire, comment on va commenter les événements qui se déroulent et nous bouleversent. Mais choisir de simplifier le réel risque de dénaturer l’avenir. Le Hamas, organisation terroriste longtemps soutenue par Netanyahou pour faire taire l’entreprise de paix portée par l’OLP et la gauche israélienne, terrorise aussi les Gazaouis. Doivent-ils payer les atrocités commises par leur gouvernement terroriste ?
Pour choisir, en conscience, il faut échapper aux polices de la pensée. En France on interdit les manifestations de soutien aux Palestiniens. La gauche se déchire autour de mots prononcés, de condamnations pas assez fermes, d’un populisme qui établit des parallèles et des oppositions manichéennes, quand il faudrait un peu d’esprit de finesse hérité non des Lumières, mais de Pascal. Une finesse non binaire, qui permettrait de cesser d’opposer le Hamas et la droite extrême israélienne, en omettant de dire qu’ensemble ils ont assassiné toute chance de paix, toute « solution à deux états » défendue par le couple Arafat-Rabin, la gauche israélienne, le Fatah, l’OLP, l’ONU, la France.
Qui dira qu’on ne peut pas impunément souffler sur les braises et s’offusquer qu’elles flamboient ?
Le peuple palestinien a besoin de soutien. Les intellectuels et les artistes se taisent, terrorisés d’être soupçonnés d’antisémitisme, d’antisionisme, de naïveté. Mais comment appelle-t-on un gouvernement qui enferme plus de deux millions d’habitants dans quelques kilomètres carrés et coupe tout accès, prive d’eau, de nourriture et d’électricité, puis bombarde, déplace la moitié de la population, et s’apprête à envahir ? Les enfants de Gaza n’ont-ils pas droit à notre intérêt et à notre compassion comme les enfants d’Israël ? De quoi sont-ils coupables ?
Aujourd’hui, il n’est pas d’autre choix que de sortir des oppositions manichéennes, de cultiver la nuance, de rectifier les oppositions racialistes, nationales ou religieuses. Il n’y a pas le camp des Palestiniens et des Israéliens (dont un cinquième est musulman) mais deux forces qui veulent anéantir leur ennemi, et d’autres qui cherchent à construire la paix.
La position du gouvernement français à cet égard peut fracturer durablement la cohérence sociale de notre pays, mise à mal en même temps par le meurtre d’un enseignant au nom d’Allah, les amalgames délirants du RN entre tout ce qui consonne arabe et le Hamas. Les extrêmes droites islamistes, israéliennes et françaises ont la même vision de l’avenir : un champ de ruine dont ils seraient les uniques survivants, sans place pour l’autre. La seule alternative réside dans le dialogue, et un soutien acharné à la Culture de Paix.
Agnès Freschel