Découvert à Cannes l’an dernier (en ouverture de l’Acid 2023), le premier long métrage de Maxime Rappaz, Laissez-moi, se déroule dans le Valais natal du réalisateur. Le paysage épuré, presqu’abstrait, largement symbolique, structure le film autant que Jeanne Balibar, de tous les plans dans le rôle phare, lui donne chair et sensibilité.
Il y a la montagne, la beauté du Val d’Hérens. Un village de vallée. Un hôtel d’altitude perché à 2500 mètres, grand parallélépipède austère gris bleu, près du prodigieux barrage de la Grande Dixence. Des millions de tonnes de béton. Pas plus lourd que ce qui pèse sur Claudine (Jeanne Balibar). Des millions de mètres cubes d’eau. Tout aussi retenus que ses désirs. En bas, la base. En haut, l’échappatoire, le possible d’un jour, l’impossible d’une vie.
Claudine, la cinquantaine élégante, est couturière à domicile. Elle s’occupe seule de son fils déjà « grand » comme elle dit, handicapé psychomoteur privé d’autonomie (Pierre-Antoine Dubey). Tous les mardis, elle le confie à sa voisine, revêt sa robe blanche, son trench, peint ses lèvres de rouge, chausse ses bottines, et prend le bus pour l’hôtel du barrage. Avec la complicité d’un employé, elle choisit au restaurant des hommes de passage, seuls, se fait raconter les villes d’où ils viennent, couche avec eux sans demander d’argent, et redescend. Avant de rentrer, elle poste une lettre bleue pour son fils, qu’elle signe papa. Elle la lui lira plus tard, reprenant les mots de ses amants d’une fois, inventant un père voyageur qui décrirait les villes où il passe.
Le sens du détail
Le réalisateur nous installe dans cette routine et dans les rôles multiples de Claudine. Mère dévouée, exemplaire, sacrificielle. Travailleuse modeste, sérieuse dans l’intimité de son atelier, à l’écoute de ses clientes : la très vieille femme qui renonce à se faire belle ou la jeune fille qui confie à Claudine la confection de sa robe de mariée. Claudine encore, lunettes noires, séductrice mystérieuse puis amante sensuelle. Une femme à mi-chemin de l’existence qui semble maîtriser sa double vie jusqu’au jour où elle rencontre Michael (Thomas Sarbacher) un ingénieur en mission qui pourrait ouvrir la cage où elle s’est elle-même enfermée. Car construire sa propre prison, ce n’est pas être libre.
Maxime Rappaz qui vient de la mode a le sens du détail, du motif, du style. Il nous offre ici un film délicat. Mélancolique comme un voyage immobile. Du cousu main pour la grande Jeanne dont le verbe rare, le phrasé un peu traînant, la voix douce et vibrante laissent brûler un feu dévorant sous la placidité du lac.
ÉLISE PADOVANI
Laissez-moi, de Maxime Rappaz
En salles le 20 mars