La genèse du film
L’idée de porter un projet artistique ne m’était pas étrangère et c’est par le cinéma que je suis arrivé au théâtre, par le jeu puisque je voulais être acteur. Cette idée m’a toujours habité. Je voulais évoquer ma double culture, mon rapport avec l’Algérie, avec ma famille. Le fait, comme le personnage principal, de compartimenter le monde, la vie professionnelle et la famille. Je voulais travailler cet aspect-là et le rapport à la cuisine, un univers qui m’est proche. J’ai travaillé dans des restaurants, mon père a tenu des cafés et le père de mon meilleur ami qui a inspiré le personnage de Bernard, joué par Gustave Kervern a tenu des bistrots pendant longtemps. La culture des cafés m’habite. Il y a les ingrédients intimes proches. La fiction est arrivée avec le personnage de la fausse mère qui permet de s’interroger sur nos vies. C’est un film à petit budget qui a été facile à produire. J’ai eu de la chance !
Un film très écrit
L’écriture est une partition ; Le film est très écrit ; j’écris pour des acteurs, des personnages qui doivent prendre vie. C’est le cœur de mon travail y compris au théâtre. Après les répétitions, avant le tournage, on a réajusté parfois mais les acteurs jouent la partition. Les dialogues sont importants. J’ai l’impression que parfois on oppose théâtre et cinéma ; pour moi, il y a quelque chose de commun. Les cinéastes qui m’inspirent, comme Pasolini qui m’a chamboulé à 17 ans, Fassbinder, sur la question sociale et l’esthétique, Bergman, ont toujours eu la volonté de faire un cinéma d’auteur. J’ai le souci de la conduite du récit, du rythme. Ici, un personnage qui est coincé : la mécanique se referme sur lui. Le cinéma iranien me plait aussi car c’est un cinéma qui parle de dilemmes qui amènent la conduite du récit. Dans le film, il y a des dilemmes auxquels on n’apporte pas toujours de réponse définitive.
La scène du train
Les mains dansent, puis on découvre qu’on est dans un train. A-t-on les moyens de tourner cette scène ? me suis-je demandé. C’est une scène importante car cette femme qui agit sur tous ces gens est une métaphore : elle fait danser la France, comme un pied de nez dans cette époque bien coincée. On a peu d’espace dans cet intercité Lyon -Nantes et on avait trois heures pour tout boucler. On a donc fait plein de répétitions avant. Je voulais des choses très colorées. On a répété avec une chorégraphe qui pratique la danse du ventre. Je voulais vraiment qu’il y ait l’idée que Souhila leur apprend la danse. Elle montre à Léa avec un gros plan, suit un autre gros plan sur deux autres femmes, encore un gros plan puis le plan large sur tous les passagers où l’on découvre que tout le monde est en train de danser avant de rentrer dans un truc plus organique comme si on était embarqué avec elle. C’est toujours elle qui guide. C’est important en termes de mise en scène ; c’est Souhila qui guide le mouvement de la caméra, qui impose son rythme.
Les acteurs et les actrices
Quand j’ai écrit, je n’ai pas écrit pour eux. C’est à l’atelier de la FEMIS que j’ai développé la première version du scenario. On y va pas à pas pour un premier film, étape par étape ! Younès Boucif, je l’ai trouvé par un casting. Je cherchais quelqu’un pour qui on éprouve une empathie immédiate. Hiam Abbass, je n’y ai pas pensé tout de suite. C’est quand j’ai vu le documentaire de sa fille, Bye bye Tiberiade, un très beau film que je me suis dit que c’était elle; je lui ai proposé le rôle de Souhila, elle a tout de suite accepté et elle a adoré…C’est une très belle rencontre ; on a présenté le film ensemble à Rome. C’est une véritable leçon d’artiste ; il y a une profondeur dans le rôle, de l’exubérance et du baroque. Il n’y avait qu’elle pour jouer cela. Quant à Malika Zerrouki, qui incarne la mère de Mehdi, c’est une actrice non-professionnelle qu’on avait déjà vue dans quelques films dont Sages femmes de Léa Fehner (https://journalzebuline.fr/le-coeur-battant-de-la-maternite/) ; elle peut facilement passer du rire aux larmes. Clara Bretheau qui incarne Léa, je l’avais trouvée formidable dans Les Amandiers de Valérie Bruni-Tedeschi. Je voulais qu’elle apporte sa fougue, son plaisir. C’est elle qui confronte Mehdi à son énième mensonge ; elle commence à douter. Elle va rencontrer cette « fausse » mère; elle est un peu comme nous ; elle découvre un monde et réalise que quelque chose ne va pas.
Les choix de mise en scène
Je voulais un film chaud. Avec mon directeur de la photo, Sébastien Goepfert, on a regardé des films d’Almodovar, des comédies italiennes. Pour moi, les lieux sont des personnages. Ils ont une identité très forte. On a beaucoup dialogué sur les couleurs. Il fallait une cohérence pour la palette graphique. Dans tous les détails. Quand on travaillait un cadre, on se disait par exemple : on a les cheveux rouges de la comédienne qui plie des serviettes marron comme dans un tableau et on est pris dans une sorte d’émotion. Pour les plats, les gens doivent avoir faim ! Avoir envie de goûter. Comment filmer la nourriture ? On a fait un vrai travail, faisant appel à un chef cuisinier à Lyon où on a tourné, pour avoir de vrais plats. Il fallait que ça sonne vrai. Il faut que ce qu’on filme ait une vraie valeur. Et on a bien mangé pendant tout le tournage !!!
La musique
Il y a la musique composée par le grand Amine Bouhafa qui traverse tout le film. On ne voulait pas une musique de comédie. Tout ce que le personnage de Mehdi n’arrivait pas à dire devait s’exprimer par cette musique. Une musique qui n’illustre pas. Une musique narrative. Il y a aussi de la musique populaire algérienne. Dans le bar de Souhila, on entend Cheb Hasni, qui était oranais et a été assassiné en 1994, à vingt-six ans, pendant la décennie noire en Algérie. On a aussi des morceaux de la nouvelle génération du raï, comme Cheb Bello et Chebba Chinou ainsi que le rappeur algérien Tif. Toutes les musiques dialoguent avec la question algérienne jusqu’au morceau final qu’on a fait pour le film et qui réunit dans ce duo l’arabe et le français.
Propos recueillis lors du 47e Cinemed à Montpellier par Annie Gava






