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Anatomie d’un crime

Dos Madres de Victor Iriarte revient sur le vol de 300 000 bébés sous le régime de Franco. Pour un film d’enquête précis et minutieux dans la tradition des films politiques des années 1970

Deux femmes blondes, la cinquantaine, côte à côte dans un transat. Des ongles vernis de rouge. Le temps arrêté d’une sieste estivale près d’une rivière. Victor Iriarte affirme que c’est à partir de cette image rêvée qu’est né son premier long métrage de fiction Dos Madres (titre original : Sobre todo de Noche). Tout autant que le projet plus politique de parler de l’Espagne vue par la génération née après le franquisme et à laquelle il appartient. Raconter les persistances de la dictature dans les structures institutionnelles, et celles de la douleur dans la vie de ses victimes.

Vera (Lola Dueñas) est l’une d’elles. Elle a accouché trop jeune d’un fils, Egoz (Manuel Egozkue), dont elle ne pouvait pas s’occuper. Quand elle a voulu le retrouver, on lui a dit qu’il était mort et tous les documents autour de cette naissance avaient disparu. On l’a donné (vendu ?) à une femme stérile, Cora (Ana Torrent), en le prétendant orphelin. 300 000 bébés ont ainsi été volés sous le régime du Caudillo comme le rappelle un flash d’archives, au cœur de la fiction. 20 ans après son accouchement, Vera n’a renoncé ni à retrouver Egoz ni à se venger des responsables de la transaction. Son travail au tribunal facilite ses recherches. À partir de ce sujet, le réalisateur aurait pu proposer un film réaliste proche du documentaire, ou un mélo jouant sur les sentiments et l’empathie, il choisit une certaine mise à distance, le mélange des formes et des formats d’images, la concentration sur le trio de personnages excluant les pères (jamais évoqués) et une liberté narrative qui nous entraîne dans un jeu de pistes et de reconstitution ludique.

Ce sera une « histoire d’horreur et de violence » comme l’annonce la citation de Roberto Bolaño, mise en exergue, « mais c’en n’en aura pas l’air ». Ce sera un film d’enquête dans la lignée du cinéma politique des années 1970, démontant les mécanismes d’un scandale. Un film noir agrémenté de cadavres, de chantage, d’effractions. Un récit de voyage et d’itinéraires, émaillé de cartes et de plans, sous l’égide de Jules Verne. Une quête intime au plus près des personnages. Et par dessus-tout, une histoire solaire de retrouvailles, de réhabilitation, de résilience, d’amitié et d’amour.

Une machine de précision

Ni la diversité ni les ruptures formelles ne désorienteront jamais le spectateur, tant l’objet cinématographique s’identifie parfaitement. Précis, minutieux, le film de Victor Iriarte se structure en trois chapitres chronologiques suivis d’un post scriptum inattendu. Le premier se centre sur Vera. En voix off, elle lit la lettre qu’elle a écrite à son fils. Elle raconte et se raconte. Est saisie dans son quotidien de sténotypiste judiciaire, un métier méconnu où on écoute tout, où on retranscrit tout, où « comme pour le piano, ça rentre par l’oreille et ça sort par les mains ». Dans son activité de détective aussi, au volant de sa voiture. Le deuxième  met en lumière Cora et Egoz, on les suit dans leur vie harmonieuse de pianistes, soudain désaccordée par le courrier de Vera. Filmés, dans une longue séquence, comme au bout d’un tunnel, dans un rond de lumière qui délimiterait un champ opératoire. Le troisième met en scène la rencontre des trois protagonistes et les gestes encore à inventer pour passer avec tact et délicatesse, de l’angoisse à la complicité. Entre ces différentes parties, se tissent des correspondances visuelles et sonores.

Avec, dans les rôles des deux mères, deux actrices majeures qui ont traversé l’histoire du cinéma espagnol, et ont été dirigées par les plus grands, Victor Iriarte se place dans une continuité pour mieux s’en distinguer.

ÉLISE PADOVANI

Dos Madres, de Victor Iriarte
En salles le 17 juillet

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