Elle l’aime, elle l’admire, elle lui fait confiance. Il la regarde, l’encourage, la façonne. Peu à peu, il la grignote, s’installe dans sa vie pour mieux orchestrer et contempler sa chute. Le coup de foudre fut presque immédiat entre Claire, écrivaine reconnue, et Gilles, metteur en scène talentueux mais plus confidentiel. Deux âmes vibrantes, pleines d’élan, prêtes à se fondre l’une dans l’autre. Midinette en puissance, prompte à entonner les chansons d’amour les plus simplettes – et souvent les plus marquantes – Claire se pique même, à son contact, de poésie. Mais elle ne tiendra pas la promesse faite, un soir d’été, à l’homme de ses rêves survenu alors qu’elle n’avait plus l’âge d’y croire : celle de ne pas écrire sur lui. De même qu’il contreviendra très vite à la sienne : ne jamais la trahir.
Perversion narcissiqueL’ère post-#MeToo réussit décidément à Camille Laurens. Après l’inoubliable Fille, paru en 2020, la revoici dans le domaine où elle excelle : la dénonciation méthodique, pièce par pièce, de l’inépuisable violence et veulerie des hommes. Et, en filigrane, à l’affût de la soumission consentie, de l’aveuglement amoureux, et de la lente érosion de soi auxquelles consentent inexplicablement les femmes.
Hasard de calendrier, ou coïncidence propre à l’air du temps : le sociologue et historien Marc Joly faisait paraître, en novembre dernier, le très salué La Pensée perverse au pouvoir. Où la notion de « pervers narcissique » (PN) se voyait reconsidérée non pas comme catégorie clinique, mais comme phénomène social : si tant de femmes affirment déceler chez leur ex « toutes les caractéristiques du PN », on aurait selon Joly tort de n’y voir qu’un effet de mode. Réaction logique et insidieuse à l’autonomisation des femmes, les mécanismes de l’emprise et de la destruction psychique demeurent les seuls modes de domination masculine encore socialement acceptables, et donc particulièrement insidieux.
De l’art du suspense
Avec une écriture acérée, Camille Laurens en démonte pièce par pièce les rouages. La construction de son récit, proche du thriller judiciaire, en éclaire les détails les plus éloquents. Sans excès, sans pathos, bien que la naïveté de Claire frôle souvent, volontairement, la caricature. L’art du suspense, que l’autrice maîtrise à la perfection et qui faisait, notamment, de Celle que vous croyez un redoutable page-turner, se voit ici contrebalancé par l’aveuglement de sa narratrice, venue contrarier une mécanique trop bien huilée par ses excès de sentiment et, somme toute, d’humanité. Belle idée dans un roman qui en regorge – et a tout du grand roman.
SUZANNE CANESSA
Ta Promesse, de Camille Laurens
Gallimard - 22,50 €
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