Il faut prendre le titre au sérieux. Il est question pour la chorégraphe de chercher une issue. Par le haut. Quelque chose a profondément changé depuis sa dernière pièce : la pandémie est une tempête dont il nous faut considérer l’après, avec la conscience que la catastrophe, écologique et politique, arrive.
Le spectacle commence par le solo d’un ange, sur le texte de Walter Benjamin écrit quand les Nazis dominaient l’Europe : « L’ange de l’Histoire a le visage tourné vers le passé. Là où nous voyons une chaîne d’événements, il ne perçoit qu’une catastrophe unique, qui amoncelle les épaves et les jette à ses pieds. Il voudrait bien réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »
Comme toujours, on est frappé par la capacité de la chorégraphe de nous faire toucher, éprouver ces concepts complexes, avec simplicité. L’ange de l’histoire est là, sous nos yeux, beau, androgyne, portant l’effroi, tournant sur sa tête, démembré. Luttant contre les ruines accumulées devant lui, marchant à rebours, les yeux fixés vers le passé. Comme la musique qui remonte à l’envers, vers la source des musiques afro-descendantes, le blues, et les effrois, les révoltes, les ruines dont les musiques actuelles témoignent depuis.
Nouvelle génération
Les constantes des spectacles de la compagnie Rosas sont là, mais ont subi des changements notables : les danseurs suivent des axes colorés, des cercles, tracés au sol, comme des lignes préexistant à leur passage, et non des sillons qu’ils traceraient eux-mêmes dans le sable ; la musique live reste une matrice de la danse, qui semble en découler, mais la coincer aussi, l’interdire, l’interroger. Quand la chanson demande d’avancer simplement les pieds pour marcher et quand, en crescendo, la danse se fait plus violente : heurtée par des rythmiques oppressantes au lieu de trouver le calme que la marche recherchait, tordant les corps et les visages de grimaces, écartelant la chanteuse –merveilleuse Meskerem Mees- , jetant les corps au sol comme autant de cadavres.
Pourtant quelque chose de profondément nouveau se construit. Le mouvement des danseurs se nourrit de techniques contemporaines, jazz et hip hop, et construit des ensembles qui ne cherchent pas l’unisson exacte, mais, au sein du groupe, des identités personnelles, visiblement variables, qui font un ensemble, comme dans un chorus de jazz.
Des danseurs aux corps égaux dans leurs différences de genre, d’ethnotype, de corpulence et de taille… Tous là sans discrimination, et qui nous font face, interrogeant ensemble l’Histoire qu’on leur a laissée.
Agnès Freschel
Exit above, après la Tempête, de Anne Teresa de Keersmaker, musique Meskerem Mees, Jean-Marie Aerts, Carlos Garbin jusqu’au 13 juillet, La Fabrica, Avignon.