jeudi 25 avril 2024
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«Astrakan», la douce violence

Pour son premier long métrage, David Depesseville dépeint avec noirceur et subtilité l’histoire d’une enfance tragique

« J’aime ton sourire : tu es vrai quand tu souris », dit Hélène à Samuel, son voisin de douze ans sur lequel la jeune fille a jeté son dévolu. Ces moments de lumière sur le visage de ce pré-adolescent sont rares dans Astrakan, premier long métrage de David Depesseville. Samuel (Mirko Giannini) est orphelin, placé dans une famille d’accueil du Morvan. Un père  Clément (Bastien Bouillon), une mère, Marie (Jehnny Beth) qui ne seront jamais ses parents. Leurs deux enfants Alexis et Dimitri, qui ne seront jamais ses frères. Des grands-parents (Lisa Hérédia et Paul Blain) qui ne seront jamais les siens. Et un oncle Luc (Théo Costa-Marini) perçu comme une menace bien plus que comme un référent.

Clément et Marie tirent le diable par la queue et ils ont besoin de la pension que les services sociaux leur octroient pour Samuel. Et même si Clément le corrige à la ceinture, il fait des heures supplémentaires pour l’envoyer comme les autres en classe de neige. Et Marie paie la cotisation du club de gym où Samuel s’épanouit. Ils le conduisent même chez un magnétiseur pour essayer de chasser ses démons. Samuel les exaspère ; ils ne le comprennent pas. « Il est cinglé », dit la grand-mère en lui achetant une sucette. Il tache ses slips, refusant d’aller à la selle, et ne s’exprime guère. 

En lisant le synopsis d’Astrakan, on pourrait s’attendre à un drame social, naturaliste, psychologisant. Il n’en est rien. Cette chronique d’une enfance blessée se fait du point de vue de Samuel, sans explication, sans flash-back, conférant à cette belle campagne morvandelle, une opacité étrange. À cette « douce » France, une noirceur sous-jacente. Le zoo, la ferme, les champs, la rivière, la chambre de Luc, celle d’Hélène, la maison de Clément et Marie, le gymnase, l’école, la montagne, l’église. On passe d’un lieu à l’autre et d’une émotion à autre émotion: la découverte de la sexualité, du cinéma, les petites joies, le chagrin, la jalousie, les peurs. L’univers imaginaire, sensoriel et affectif du jeune garçon se reconstitue, fragmentaire, confus, contradictoire, éveillant, en chacun de nous, le souvenir ancien du pays de l’enfance.

Bouleversant

« J’aime les films qui ont besoin du spectateur pour se remplir », déclare le réalisateur. Son écriture travaille poétiquement la juxtaposition, la répétition, l’écho et l’ellipse. Les médailles d’un champion de ski et celles d’une compétition de gym junior, le corps qui retient la douleur, et l’expulse par le sang, le vomi, l’excrément, la mauvaise haleine. Le lait qui bout et verse, la neige, l’hostie du prêtre, les aubes blanches des communiants. La prière à la Vierge Marie et celle que Samuel dédie en silence à l’autre Marie, sa nourrice, pour qu’elle accepte son amour. L’enfance sacrifiée comme les chatons dans un sac, qu’on assomme contre le mur, l’agneau blanc qu’on égorge en sacrifice, et celui mort-né qu’on écorche, l’astrakan au pelage noir, qui a donné son titre au film.

Tout est à la fois très doux et très violent dans cette réalisation tournée en 16mm. L’absence de musique pour accompagner le récit accentue un effet de rétention. Et, lorsque la puissance de J.S. Bach retentit dans l’ultime séquence, le film qu’on vient de voir semble exploser tout entier de la mémoire traumatique de Samuel. Admirateur, entre autres, de Gérard Blain (dont le fils Paul est au générique) de Brisseau (dont il emprunte l’actrice , Lisa Héredia), de Jean Eustache, de Pialat et des montages d’Artavazd Pelechian, David Depesseville, trouve sa propre voie et nous offre ici un film bouleversant.

ÉLISE PADOVANI

Astrakan, de David Depesseville
En salle le 8 février
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