Au Miam, les expositions collectives se suivent… mais ne se ressemblent pas. Chacune d’entre elles semble nous dévoiler un monde jusque-là inconnu, porté par des hommes et des femmes osant bousculer les normes et repousser les limites. En cela, Fait machine n’échappe pas à la règle. Présentée comme un écho lointain de Fait Maison en 2000, l’exposition s’intéresse à la façon dont les artistes se sont appropriés le digital et son champ des possibles dans une exploration de la matière inédite. Car si les technologies numériques ont envahi notre quotidien ces vingt dernières années, elles ont aussi révolutionné un grand nombre de procédés créatifs, du design à l’artisanat, en passant par le domaine artistique contemporain. La première partie de l’exposition intitulée Le Laboratoire nous plonge dans un univers où art et technologie sont irrémédiablement liés.
Le rez-de-chaussée du Miam se transforme temporairement en annexe du CCE (Céramique comme expérience), le laboratoire de recherche de l’École nationale supérieur d’art (Ensa) de Limoges, fondé en 2015. Conduit par l’artiste plasticien Michel Paysant, on y découvre un travail étonnant autour du principe d’eye-tracking (l’oculométrie en français). « Des artistes sont régulièrement invités à travailler au sein du laboratoire afin d’expérimenter et produire des pièces en lien avec les étudiants », explique Noëlig Le Roux, l’un des deux commissaires.
Le monde des « makers »
Cette expérimentation sur la céramique se fait grâce aux technologies de l’impression 3D, qui permettent aujourd’hui d’imprimer des matières plastiques comme des matières plus organiques, de la céramique comme de la porcelaine… À condition de savoir adapter la machine à ses besoins. Encore une question de savoir-faire. Car ce qui relie les artistes présentés, c’est qu’ils ont été amenés la plupart de temps à créer leur propre imprimante, leur propre processus de fabrication, leur propre code parfois, dans une pluralité des approches comme des matériaux. Comme Miguel Chevalier, dont les Fractal flowers sont à la fois desfleurs du mal virtuelles et des objets dotés d’une existence physique à l’esthétique envoûtante. Elles incarnent à la perfection les liens subtils pouvant se tisser entre algorithme et poésie, structure théorique formelle et beauté du vivant. « Depuis quarante ans, j’utilise les outils numériques pour montrer qu’on peut développer une écriture propre, créer des univers complexes, tout en donnant une matérialité tangible à l’algorithme qui devient source d’émotion », explique Miguel Chevalier.
Quant à Jonathan Keep, autre intervenant invité au CCE, il a créé sa propre machine destinée à explorer les formes naturelles, des structures à l’essence même de la céramique, à travers les algorithmes mathématiques. Il propose aussi l’accès gratuit et en open source à ses modèles d’imprimante 3D à l’argile. « C’est le monde des “makers”, l’univers des bidouilleurs, ceux qui expérimentent à l’intérieur des “fablabs”, qui sont avant tout des lieux collaboratifs, note Marguerita Balzerani, l’autre commissaire d’exposition. L’artiste n’est pas forcément seul, c’est un cliché, il peut aussi y avoir toute une mise en partage d’expérimentations communes ».
Plantes d’urgence et cartes perforées
La jeune Camille Reidt incarne à merveille l’envie de concevoir à plusieurs tout comme celle de s’aventurer sans complexe dans le domaine scientifique. Formée à l’Ensa de Limoges, elle présente deux projets fascinants, deux récits imaginaires très personnels. Ses Plantes d’urgence sont des capsules de verre transformées en chambres de culture rétro-futuristes. Présentées comme des bijoux précieux, ses Strange Seeds sont le fruit d’un long procédé liant sciences et art, démarche structurée mais avec une grande part de hasard. Après avoir numérisé des graines issues de la grainothèque de la Faculté de sciences de Limoges, Camille Reidt les imprime et les moule pour réaliser une première coque de matière, qu’elle remplit ensuite de rebus de porcelaine, de verre et de métal, n’hésitant pas à tester les limites à travers des alliages disparates détonants. Le résultat, après cuisson et découpe précise, est fascinant de beauté et d’aléatoire, géode unique ni vraiment naturelle ni vraiment artificielle. Difficile de s’arrêter sur chaque artiste, chaque procédé créatif, tant cette exposition collective est volontairement foisonnante, jamais didactique, plutôt conçue pour nous surprendre que pour nous affirmer un propos limitant. Petit clin d’œil en passant pour le collectif Sommes et ses pièces en céramique et verre réalisées avec l’aide du fablab de la Palanquée à Sète, dans le cadre du Défi de création digitale.
Au premier étage, une grande place est laissée à la matière tissée, dans la deuxième partie de l’exposition bien nommée Le fil du code. À commencer par l’étonnante salle de bain de Philippe Schaerer et Reto Steiner réalisée grâce à un stylo 3D à filament. Les machines à tricoter de Jeanne Vicerial comme du duo Varvara & Mar s’exposent au regard, de même qu’un tapis particulier accroché au mur. Une œuvre de Faig Ahmed part des techniques traditionnelles du tapis persan, pour s’amuser des altérations du code numérique qui s’insère dans les fils comme un bug détournerait la matrice tissée pour la transformer en tout autre chose, avec ses harmonies particulières, sa logique créative détournée. L’exposition se termine par ce qui aurait pu être son commencement : les cartes perforées des métiers à tisser Jacquard qui ont révolutionné l’industrie textile au XIXe siècle. Ces mêmes cartes qui ont grandement contribué aux recherches du mathématicien Charles Babbage sur la création d’une machine analytique… aujourd’hui considérée comme l’ancêtre de l’ordinateur. La preuve que l’art et le code sont plus intimement liés qu’on ne voudrait le croire.
ALICE ROLLAND
Fait Machine
Jusqu’au 12 novembre
Miam, Sète
04 99 04 76 44
miam.org