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Avec Patricia Mazuy pour « La Prisonnière de Bordeaux »

Le 20 août aux Variétés (Marseille), la cinéaste Patricia Mazuy présentait en avant-première son sixième long métrage, La Prisonnière de Bordeaux, présenté à la dernière Quinzaine des Cinéastes. Zébuline l’a rencontrée

Celle qui a été la monteuse d’Agnès Varda pour Sans toit ni loi, qui a réalisé en 1989 son premier long, Peaux de vaches, puis Saint-Cyr, Sport de filles, Paul Sanchez est revenu et Bowling Saturne nous a parlé de son dernier opus, de sa genèse, de ses personnages et de ses actrices, de la musique et de bien d’autres choses avec le franc-parler qui la caractérise. Une Patricia Mazuy à qui la Cinémathèque avait consacré une rétrospective en octobre 2022. Entretien

La genèse du film

Patricia Mazuy. « À l’origine, c’est un film de Pierre Courrège qui, en 2005, était passé devant une prison à Maubeuge et avait été marqué par des femmes qui attendaient pour un parloir. Il a commencé à écrire en 2012 avec François Bégaudeau un pur film social. Ils ont travaillé entre 2012 et 2018 mais ne sont pas arrivés à produire le film. Le producteur Yvan Taieb qui avait vu mon film Paul Sanchez est revenu m’a proposé de faire le film ; après avoir vérifié qu’ils le laissaient tomber, j’ai accepté. Mais pour moi, c’était trop conceptuel : c’était des conversations « lutte de classes ». On ne voyait jamais les maris des deux femmes et pour moi, il était évident qu’il fallait montrer pour quoi ces deux femmes vivaient et donc, faire exister leurs maris en prison. Il y avait de l’humour dans les dialogues. Les personnages sont des clichés, la bourgeoise esseulée et la mère courage des cités. Il s’agissait de complexifier les clichés. L’autodérision de la bourgeoise, Alma, dans le vide absolu, ça lui donnait un air perché. Sa maison n’est pas une prison mais une sorte de mausolée. Deux destins de femmes que je voulais mettre en héroïnes. Et l’humour était important. Ce n’est pas un film feel good mais un film grave que je voulais traiter avec légèreté. De 2019 à 2021, on a travaillé le scenario et je l’ai proposé à Isabelle Huppert qui m’avait dit qu’elle voulait retravailler un jour avec moi [après Saint Cyr, ndlr]. J’ai pensé à Hafsia Herzi pour jouer Mina et opposer les deux corps. Hafsia est tellement pulpeuse, cela me plaisait ! Entretemps, j’avais fait Bowling Saturne, un film très noir, très dur. Je voulais explorer la douceur. La dernière année, j’ai travaillé avec Emilie Deleuze. Un scenario, ce n’est pas que des dialogues. Il fallait que ce ne soit plus un territoire étranger : pour moi, les bourgeois c’est comme aller filmer des Inuits. Je ne connais pas les grandes maisons riches, ni les cités. Le personnage de Yassine a été très compliqué à construire ; c’est un mec qui souffre à cause de la mort de son frère. Il est blessé donc dangereux et la souffrance fait peur. Yassine c’est comme les petits blancs des romans de Faulkner. Il est imprévisible car il ne sait pas se gérer. Mais je n’avais pas l’argent pour faire un film comme Audiard. Je voulais que ce soit comme un conte, une fable. Et je voulais que Mina soit amoureuse de son mari, Nasser. La vie d’Alma, elle, est tragique : elle reste chez elle, va chez le coiffeur et au parloir. C’est tout ! C’est l’arrivée de Mina qui va la révéler à elle-même. Comme une histoire d’amour, une parenthèse. »

La documentation

Patricia Mazuy. « Je me suis bien sûr documentée. Il est difficile d’accéder aux maisons d’accueil et aux parloirs. J’ai vu des documentaires sur les prisons, comme celui de Stéphane Mercurio [À côté de Stephane Mercurio et Anna Zisman – ancienne contributrice de Zébuline, ndlr]. On voit dans ces lieux des femmes très différentes et ce n’est pas irréaliste que des femmes comme Alma et Mina s’y croisent. Quand j’ai fait le casting sauvage des femmes de la maison d’accueil, j’ai vu celles qui fréquentent les parloirs. Leur vitalité absolue face à cette vie dure m’a surprise. »

Le décor

Patricia Mazuy. « J’aurais aimé tourner à Strasbourg mais pour différentes raisons, on a choisi Bordeaux. La maison d’Alma a été très difficile à trouver. Il fallait des murs de couleur. Pas de murs blancs ; cela aurait été trop difficile pour éclairer Isabelle. On a vraiment soigné les couleurs et une galerie parisienne nous a prêté les tableaux – il y en avait pour 800 000 euros ! Pourquoi celui de Jacques Villéglé, dans l’entrée ? Il y a longtemps, j’avais connu sa fille qui m’avait emmenée dans l’atelier de son père ; il déchirait des affiches dans les rues pour composer ses tableaux ; un des pionniers du street-art. Je trouvais marrant que ce soit un grand tableau Et des affiches déchirées, c’était bien par rapport à la déchirure de l’amour. Un mec qui n’arrête pas de tromper sa femme et qui lui offre des affiches déchirées, c’est drôle, non ? »

La musique

Patricia Mazuy. « Dés le scenario, je voulais une musique douce et très mélo. On avait peu de temps si on voulait que le film soit prêt pour Cannes. Je désirais aussi qu’il y ait une chanson comme dans un film d’Altman, que j’adore, Le Privé (The long good Bye), adapté d’un roman de Chandler, avec Elliot Gould. Il y a une chanson de John Williams, d’Amine Bouhafa.Pour la chanson, cela a été plus compliqué. Je me suis mise à écrire les paroles et j’y ai passé beaucoup de temps. Et pour Sarah McCoy qui l’interprète, c’est grâce au manager de Bertrand Belin pour qui j’avais fait un clip (Surfaces). Avant le tournage, j’avais juste une maquette avec le sifflet. Je voulais garder le sifflet pour trouver la voix. Très compliqué : je voulais quelque chose qui groove, de jazzie et après de longues recherches, Sarah McCoy, une chanteuse super, un bonheur ! »

Le titre : La Prisonnière de Bordeaux

Patricia Mazuy. « Le titre est romanesque. Il fait très « Princesse de Clèves ». On se demande qui est LA Prisonnière de Bordeaux. Sans doute Alma, avec son destin de femme soumise, dans sa prison dorée ? »

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA

Vous pouvez lire la critique ICI

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