Zébuline. Quelles dynamiques ont permis de faire renaître un événement d’envergure internationale comme Babel Music XP ?
Olivier Rey. A la fin de Babel Med Music en 2016, nous étions intimement convaincus que l’événement avait du sens et une légitimité parce qu’il mettait en miroir la dimension économique, sociétale et culturelle des musiques actuelles du monde. Trois éléments dont les enjeux n’avaient pas coutume d’être associés et auxquels le projet refondé répond. On s’est rapidement inscrits dans une dynamique collective pour coconstruire un nouvel événement que l’on considère d’intérêt général parce qu’il est au service de la filière. Pour nous, il fallait absolument que les différents acteurs de l’écosystème musical puisse manifester leur intérêt et nourrir le projet. Des réseaux régionaux nationaux et internationaux ont validé et soutenu la démarche. Le point central était de savoir comment réinventer le modèle économique de l’événement et les partenaires institutionnels, les collectivités territoriales au premier chef – Région Sud, Ville de Marseille et Métropole -, ont fait preuve d’une écoute attentive. En 2020, au milieu de la crise du Covid, nous avons proposé un « before » au format digital qui a montré sa pertinence : au moment où la filière était à l’arrêt, ce moment lui a permis de se rassembler autour des thématiques qui la traversent. En 2021, il y avait encore les contraintes liées au Covid ; en 2022, les mobilités internationales n’étaient toujours pas assurées donc on s’est projetés sur l’édition 2023.
A quoi peut servir un marché de la filière musicale, particulièrement dans le secteur des musiques actuelles du monde et dans l’après-Covid ?
Il y a de moins en moins de fenêtre de diffusion pour les artistes des esthétiques que l’on défend et qui font carrière principalement sur scène. Il faut un événement fédérateur pour participer à la relance, notamment économique. Depuis la crise sanitaire, les programmateurs ont tendance à s’orienter vers des têtes d’affiche dont le cachets ont augmenter, pour certaines, de 30 %. Cela grève les budgets, donc nécessite de faire de la billetterie et donc diminue les possibilités de prendre des paris sur des artistes émergents ou en développement de carrière. L’idée, avec Babel Music XP, est de rassembler tout ce monde-là pour pouvoir poser les modalités d’un nouveau mode de fonctionnement, surtout après la fin de certaines aides liées au Covid. Recréons des connexions et un climat de confiance pour imaginer des coopérations et combattre la frilosité ambiante.
Quelle est la pertinence de l’organiser à Marseille ?
Depuis que Babel Med Music s’est arrêté, les marchés ont fait florès sur tous les continents. On sait que ce sont des accélérateurs de carrière mais pour des artistes locaux, il est souvent difficile d’y accéder. Sur notre créneau, il n’y a pas d’équivalent en France alors que le premier marché des musiques du monde en Europe, c’est la France. Tous les métiers de la filière au niveau régional et national vont donc bénéficier de la venue du monde entier à leur porte sans avoir à prendre l’avion. Si on a enlevé le terme « Med » de notre nom, c’est parce qu’on s’est rendu compte que dans certains territoires de la planète, on pensait que Babel Med Music était confiné à l’aire méditerranéenne. Mais quand on discute avec nos collègues internationaux, on constate que Marseille est un point d’ancrage puissant dans l’imaginaire des gens. Que l’on vienne d’Europe et du continent Nord-Américain pour prendre le pouls du bassin méditerranéen et de l’Afrique sub-saharienne ou que l’on vienne des pays du Sud qui nous voient comme la porte d’entrée pour accéder aux marchés occidentaux. Enfin, Marseille fait sens parce que la ville raconte l’histoire des diasporas, des migrations, des passages entre les continents.
Quels sont les principaux enjeux des rencontres professionnelles ?
Nos musiques sont aussi porteuses de valeurs. On ne vit pas dans un monde clos, déconnecté des préoccupations sociétales. Avec l’inclusion, l’égalité des genres, la diversité ou d’autres sujets, la question de la transition écologique traverse intégralement la filière. Les festivals sont un secteur énergivores et la crise énergétique a contraint des salles, qui ne pouvaient pas payer les factures, à fermer. En même temps, de plus en plus de dispositifs sont portés un peu partout à travers le monde. Notre volonté est de rassembler autour de plusieurs tables rondes les acteurs de ces initiatives qui ne parlent pas forcément entre eux. Non pas pour les photocopier mais pour s’en inspirer et être plus vertueux dans nos pratiques. On n’a pas d’avis préconçu et l’idée n’est pas de faire du militantisme forcené mais de montrer comment, à partir de récits inspirants du monde entier, on peut tracer son propre chemin sur son territoire. Sur l’égalité des genres, il y a par exemple une table ronde qui réunit Yacko enseignante et rappeuse féministe indonésienne, Germaine Kobo, chanteuse belge d’origine congolaise et Alexandra Archetti Stølen, directrice du Oslo World Festival. Le secteur culturel est souvent à l’avant-garde sur des idées qui peuvent infuser la société. Et Babel veut être la caisse de résonance de ce genre d’avancée.
Babel Music XP est aussi ouvert au grand public, à travers trente-deux concerts. Pourquoi cette dimension est-elle importante ?
On est un événement consacré aux musiques actuelles du monde. Le marché accueille le monde, les rencontres professionnelles sont empreintes des préoccupations actuelles et il est inconcevable de ne pas proposer des musiques à écouter. Babel Music XP donne l’opportunité aux artistes de se retrouver face à des programmateurs. Et la meilleure des expositions pour un artiste reste quand même de montrer son travail sur scène, face à un vrai public. Parce qu’il se passe autre chose que devant un auditoire composé des seuls professionnels qui, eux, pourront se projeter. Par leur diversité et leur ancrage dans le monde d’aujourd’hui, les trente-deux groupes qu’on propose définissent très le périmètre des musiques que l’on promeut.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS
Babel Music XP
Du 23 au 25 mars
Divers lieux, Marseille