lundi 18 mars 2024
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Corps et territoires

Des fumées dans la ville voisine est la première exposition personnelle en France de Bassem Saad, artiste né à Beyrouth en 1994. Elle est présentée par le centre d’art Triangle-Astérides et à voir à la Friche la Belle de Mai

Vue d’ensemble

Poussée la porte du Panorama, on est accueilli par le son envahissant l’espace d’exposition d’une vidéo (The Congress of Idling Persons – 2021) projetée sur un grand écran fixé à un échafaudage métallique traversant les deux tiers du lieu. Dans ce qui reste d’espace, deux autres échafaudages, accueillant ici une dizaine de calligrammes illustrés, là les vidéos Saint Rise (2018) et Kink Retrograde (2019), ailleurs des piles de feuilles imprimées de trois textes en anglais, que l’on peut détacher et emporter…

La plus grande partie de ces échafaudages est recouverte de toile transparente, qui recouvre également la grande baie vitrée du panorama donnant sur le toit-terrasse de la Friche, où sont inscrits en anglais et français des mots ou de courtes phrases à résonance politique (« another end of french revolution after colony in prison », « ce malaise qui peut à peine être nommé »…). Des poufs géants jonchent le sol, invitant à se saisir des casques audios mis à disposition et s’installer pour regarder les vidéos sur moniteurs. Deux sculptures formées à base d’attelles médicales, l’une posée au sol, l’autre suspendue à l’horizontale près du sol, complètent l’ensemble, ainsi que trois lenticulaires (images miroitantes qui changent en fonction de l’angle du regard). 

Saint-Charbel, contrat kink et mobilisations

En se calant sur les Jumbo bags, on peut donc, casque sur les oreilles, suivre l’arrivée, dans Saint Rise, sur un semi-remorque, avant son élévation au-dessus du village de Faraya, d’une statue monumentale (26 mètres) d’un saint maronite, Saint-Charbel, au blanc immaculé. Dont on apprendra, entre autres choses, par des séquences montées en « cut », qu’il est fait du même mélange de fibre de verre très coûteux qu’une île flottante (62 mètres de long et 48 de large) prévue pour la rade de la ville de Jounieh, conçue par une entreprise libanaise. Ces deux objets étant tous deux traversés par de multiples ambitions et enjeux. De l’autre côté de l’échafaudage sont présentés une dizaine de « collages numériques préparatoires » interrogeant la révolution française, la guillotine et la laïcité, la prison et la castration, le colonialisme et le maintien de l’ordre, l’homme blanc, la cause palestinienne, convoquant entre autres Fanon, Hegel, Derrida, Genet, Houria Bouteldja (fondatrice des « Indigènes de la République »), ou Hamida Djandoubi dernier homme guillotiné en Europe en 1977 à Marseille. Dans Kink Rétrogade, on voit un personnage habillé d’une combinaison blanche et de gants en caoutchouc assis au bord d’une mare polluée, aspirer de l’eau avec une poire à lavement anal, pour en arroser ensuite la végétation qui se trouve autour de lui. Ou un smartphone sur la vitre duquel est coupée et recoupée avec une lame de rasoir une poudre grise. Ou des vues en strates anthropocéniques de la ville de Beyrouth. Une voix off médite sur l’état du monde, associe cancer et crise des déchets, considère diverses durées (espérances de vie, fréquence des krachs boursiers, …), interroge le contrat social, le care, le contrat résilient, ou le contrat kink (référence aux pratiques BDSM). Enfin, dans Congress of idling persons, des témoignages de différentes figures de luttes au Liban (l’écrivaine Islam Khatib, l’activiste Mekdes Yilma) s’interrogeant sur leurs expériences, sont entrecoupés de séquences de manifestations faisant référence aux révolutions tunisienne, égyptienne, syrienne, aux mobilisations féministes chiliennes, et au mouvement Black Lives Matter. 

La profusion, la superposition des concepts, des images et des paroles concentrées dans les œuvres contrastent avec une scénographie d’exposition aux espaces organisés de façon très claire, et presque cosy. Pour des propositions artistiques, à dimension documentaire et critique, à la fois brutes et délicates, explorant de nouvelles subjectivités, appelant à une nouvelle écologie, économie, politique des liens entre identités, corps, territoires et pouvoirs.

MARC VOIRY

Des fumées dans la ville voisine
Jusqu’au 18 mai
Panorama, Friche La Belle de Mai
Marseille
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