Léonor Serraille est une portraitiste. De trentenaires qui se cherchent et d’une certaine contemporanéité. On se souvient de la dérive parisienne de Paula ( Lætitia Dosch) dans Jeune Femme, Caméra d’Or à Cannes en 2017, mise à la porte par son compagnon, se reconstruisant au fil des rencontres. Avec Ari, présenté à la 75è Berlinale, on retrouve ce même schéma. Un jeune homme de 27 ans est chassé du logis familial par son père ( Pascal Rénéric), erre dans la ville (ici Lille et Roubaix) et d’ami en ami, de conversations en conversations, chemine vers le statut d’adulte que son âge lui donne, et apprend à devenir celui qu’il est.
Le film commence par la voix et les caresses d’une Absente : la mère défunte. Dans la lumière poudrée d’un souvenir fondateur : Ari s’appelle Ari comme le deuxième fils d’Odile Redon, né après le décès de son frère aîné. Avec lui, les tableaux du peintre s’éclairent, dit la voix. Et Ari a grandi. Le voilà professeur des écoles stagiaire, essayant maladroitement d’apprendre L’Hippocampe de Desnos à des enfants de CP qui n’écoutent pas ce maître bégayant au discours inadapté. C’est drôle et poignant. « Je ne suis pas à la hauteur » conclut Ari qui pense démissionner. Au grand dam de son père, peintre en bâtiment, qui ne comprend pas « cette génération de merde ». Mais avec les enfants qui est à la hauteur ? Ils voient tout, comprennent tout, s’engouffrent dans les failles. Et Ari en a plein de failles. Fragile, incertain. Au musée, il s’identifie à l’homme endormi de Carolus–Duran, voyant dans la fleur rouge posée à côté du personnage, un cœur sanglant.
Ari est en décalage avec tous les amis qui l’hébergent. Clara, la copine lesbienne (Eva Lallier Juan) toujours en colère qui se sent déjà abimée par la vie, ne travaille pas, ne veut pas d’enfants et attend l’apocalypse. Le copain de jeunesse devenu financier (Théo Delezenne) qui ne jure que par la réussite matérielle et l’argent dont il a hérité, qui méprise les loosers et les assistés. Ryad (Ryad Ferrad) le pote beur, qui a renoncé à ses rêves d’écriture, vit chez sa mère, et pense qu’il n’est pas né ni au bon moment, ni au bon endroit. Comme dans Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin, Ari veut savoir comment les gens qu’il interroge, s’y prennent avec l’existence et s’ils sont heureux. Il y a tant de façons de rater sa vie ! Et on s’habitue si vite à des choses insupportables.
Ari a des visions. Il voit ce que ses amis ne s’avouent pas, ne perçoivent pas. L’invisible et les détails qui sont l’essentiel bien sûr. Ari est un révélateur. Les baladins d’Apollinaire l’accompagnent, comme les notes qui s’égrènent à la guitare ou au piano, jusqu’à une fin que la réalisatrice ose heureuse. « Tu vas voir la vie c’est super ! » dit le jeune homme au bébé de son ami qu’il tient maladroitement dans ses bras. Dans le rôle titre, Andranic Manet avec son grand corps bizarre (comme il le dit) et ses yeux d’un bleu indéfini, est bluffant. Il laisse affleurer la vibration des émotions, sous la caméra sensible du chef op Sébastien Buchmann.
Inséré dans une collection fondée sur des scenarii écrits en ateliers au Conservatoire National de Paris, le film de Léonor Serraille, fait un bien fou !
ELISE PADOVANI