La réalité dépasse souvent la fiction. L’adage se vérifie dans cette histoire rocambolesque racontée par Matthieu Niango dans Le Fardeau. Après Mon vrai nom est Elisabeth d’Adèle Yon (Éditions du Sous-sol), grand succès du début de l’année 2025, cette nouvelle enquête familiale s’annonce comme l’un des textes les plus palpitants de cette rentrée littéraire. Normalien, agrégé et docteur en philosophie, l’auteur met sa rigueur intellectuelle au service d’un récit où l’Histoire, la mémoire et l’intime s’entremêlent.
Tout commence par une révélation familiale : à 23 ans, le narrateur métis franco-ivoirienapprend que sa mère a été adoptée. En cherchant à reconstituer le puzzle de ses origines, il découvre l’impensable. Sa mère est née en 1943 dans un Lebensborn, une maternité créée par le régime nazi pour « produire » des enfants répondant à ses critères raciaux de pureté aryenne. Derrière cette naissance se cache une histoire que l’on croirait inventée : un grand-père officier SS, une grand-mère juive hongroise réfugiée en Belgique. De cette mosaïque de filiations, naît une question obsédante : comment vivre avec un héritage où se côtoient victime et bourreau, colonisé et colonisateur ? « Il y a dans mon sang du Noir, du nazi et peut-être du Juif ».
Il n’y a pas d’immigration heureuse
Niango ne se contente pas de dérouler une généalogie inédite. Il entraîne le lecteur dans une enquête qui traverse l’Europe, des archives officielles aux souvenirs familiaux les plus ténus, explorant les zones d’ombre de la mémoire. Chaque page interroge la manière dont l’Histoire imprime sa marque sur les corps et les consciences. Mais si le titre évoque un poids, le roman ne se complaît pas dans la fatalité. Bien au contraire, il trace, dans ses derniers chapitres, une ligne d’horizon : celle de la libération, de la possibilité de se réapproprier son récit, et de le transmettre à la génération suivante, incarnée par la fille du narrateur.
Avec une écriture précise mais toujours vibrante, Le Fardeau dépasse le simple témoignage pour devenir une réflexion universelle sur la filiation, l’identité et la liberté, mais aussi sur le sentiment qu’il n’y a pas d’immigration heureuse. « On ne se remet pas d’avoir quitté les siens, ni de l’impression de les avoir trahis », écrit-il. On y sent à la fois la douleur de l’héritage et la force de l’affranchissement. À l’heure où les débats sur la mémoire et les origines traversent nos sociétés, Le Fardeau offre une réflexion singulière et nécessaire. On en ressort ébranlé et éclairé, conscient que les histoires les plus personnelles sont parfois les plus politiques.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le Fardeau, de Matthieu Niango
Mialet-Barrault - 22 €
Paru le 20 août
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