mercredi 24 avril 2024
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Ces reflets qui nous remplacent

Inspiré de l’ouvrage éponyme de Joseph Agostini, le spectacle musical Dalida sur le divan revient sur une période charnière de la vie de la chanteuse. Entre introspection, musique, fiction et réalité

Elle s’apprête à accepter le tournage d’un film, Le sixième jour, à l’invitation de Youssef Chahine. Un vrai rôle, enfin, au cinéma, doublé d’un retour sur la terre de son enfance, l’Égypte. Elle réaliserait un rêve, celui d’être actrice, mais elle hésite, consulte son psy.
Elle, c’est Iolanda Gigliotti que tout un chacun connaît sous son pseudonyme, Dalida. Par ce premier masque se dessine l’écart qui semble hanter toute la vie du personnage. Les chanteurs, interprètes, compositeurs, instrumentistes, Lionel Damei et Alain Klingler, s’emparent du sujet, adaptant, transposant, nourrissant de nouvelles références (extraits de J’envie les morts qui n’ont pas à mourir de Bernard Noël, textes de Pavese, interview radiophonique de Dalida) l’essai du psychanalyste Joseph Agostini, Dalida sur le divan.
Lionel Damei se glisse dans le rôle de Dalida, ou plutôt son écho. Mimiques, gestes, démarche, sourires, intonations, tout y est, jusqu’à l’évocation de la chevelure abondante du personnage. Les décalages (Lionel Damei a le crâne rasé), loin d’être parodiques, ne font que souligner avec une infinie tendresse les fragilités, les fêlures d’un être complexe et tourmenté.
D’emblée, l’ambiguïté se noue grâce au premier couplet de la chanson de Léo Ferré Nuits d’absence (paroles Jean-Roger Caussimon), murmuré par Lionel Damei : « Il est des nuits où je m’absente / Discrètement, secrètement…/ Mon image seule est présente / Elle a mon front, mes vêtements…/ C’est mon sosie dans cette glace / C’est mon double de cinéma…/ Á ce reflet qui me remplace / Tu jurerais… que je suis là ». Est mise en évidence avec une sensible pertinence la relation entre l’être et sa représentation, les mots et ce qu’ils recouvrent. L’irréductible distance qui les sépare devient abîme dans lequel l’artiste finalement sombre.

À la rencontre d’elle-même

Paradoxe de la perception que l’on a pu avoir de cette chanteuse populaire, symbole d’une certaine légèreté de vivre, et la profondeur que la pièce lui accorde. Les termes des chansons prennent alors un autre relief, on a l’impression de les entendre vraiment pour la première fois. Le duo Paroles, paroles avec Alain Delon dépasse le badinage amoureux pour réinterroger l’essence même de la communication. Prise dans les rets des reflets, Dalida se perd. Où trouver une adéquation avec elle-même alors que tout fuit. Les mots à l’instar des paillettes de ses costumes voient leur sens se déliter tant rien ne se superpose : le langage, vague reflet d’un réel aux contours flous, est mis en doute.

Dalida sur le divan © Maire-Paule Santini

La perspective du film pousse Dalida à aller à la rencontre d’elle-même. Youssef Chahine lui a demandé un douloureux exercice d’introspection destiné à raviver ses chagrins, ses blessures profondes afin de les transcrire dans son jeu. La voici, accompagnée de l’écoute et des questions de son psy (Alain Klingler, tout en finesse) qui la place face à ses contradictions, la met en garde contre les dangers de faire ressurgir les moments les plus difficiles de sa vie et, parfois un peu diabolique, la pousse jusqu’aux limites qu’elle se refuse d’éclairer. La mort rôde, celle des hommes qu’elle a aimés, fantasques, confondant souvent la vie et les exacerbations du langage, la sienne, à laquelle elle fait allusion dans une chanson : « Moi qui ai tout choisi dans ma vie / Je veux choisir ma mort aussi » (peu de temps après le tournage du film de Chahine, elle se suicidera en laissant un dernier message : « La vie m’est insupportable. Pardonnez-moi »).

« Y a pas d’Eros sans Thanatos »

Un florilège des morceaux interprétés par celle qui a passé toutes les modes, de la pop au yéyé, du swing au disco, retrace le parcours de la diva, de ses attaches italiennes à ses aventures amoureuses, ses rencontres avec les plus grands artistes de son époque. Par exemple, elle chantera Avec le temps de Léo Ferré.
Soleil de cendres que Lionel Damei a écrit à son propos pour ce spectacle rend hommage à cet être de passions : « Puisqu’il me faut les armes rendre / Que ce soit un soleil de cendres / Qui m’accompagne jusqu’à la noce / Ma robe blanche et sans guirlande / Mon âme seule pour toute offrande / Y a pas d’Eros sans Thanatos / Et dites à ceux qui veulent l’entendre / Que je suis libre mais plus à vendre / Show must go on dans le cosmos ».
En bis, les deux complices dédient une dernière chanson à ceux qui survivent dans des pays où il est interdit de chanter, danser désormais. Laissez-moi danser ! prend alors un relief révolutionnaire et c’est glaçant. Ce qui nous faisait sourire, que l’on considérait comme allant de soi, et dont on pouvait donc se moquer gentiment, était l’affirmation d’une liberté précieuse. Poétiquement magistral !

MARYVONNE COLOMBANI

Dalida sur le divan a été donné du 6 au 30 juillet au Verbe Fou, à Avignon, dans le cadre du festival Off.

À venir en août… Et en Corse

Samedi 13 : auditorium de Porticcio à 21h.

Dimanche 14 : mairie de Lecci à 21h30  

Mardi 16 : La Fabbrica culturale Casell’arte de Venaco à 19h

Mercredi 17 : médiathèque de Folelli à 19h30

Vendredi 19 & samedi 20 : collège de Saint-Florent à 21h30

Dimanche 21 : Maison des vins de Patrimonio à 21h

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