« Papa » est le premier mot du film Une famille. Une fillette, une baguette de pain à la main marche, filmée parle le camescope de son père le 12 mai 1995 : la fille de l’écrivaine Christine Angot qui réalise là son premier documentaire, revenant sur le viol commis par son père. Déjà raconté, cet inceste est au cœur de son film, mais cette fois pour tenter de savoir l’effet que cela a eu sur les autres et tenter d’effacer le déni familial.
Suivie et filmée de près par la directrice de la photo, Caroline Champetier, Christine Angot, toute de noir vêtue, s’introduit presque de force dans l’appartement de celle qui a partagé la vie de son père, Elizabeth Weber, pour la mettre face à son silence. « Qu’est-ce que je peux te dire ? » S’engage un non-dialogue d’une violence terrible. Christine Angot a beau lui rappeler les propos obscènes que lui tenait son père « je bande quand j’entends ta voix au téléphone » ou lui rappeler qu’elle était violée par lui à partir de ses 13 ans, le week-end ou pendant les vacances, sa belle-mère continue à affirmer qu’elle admirait cet homme, que c’était l’homme de sa vie. Un non dialogue brut filmé sans effets de montage. Champ, contre-champ : l’une parle, l’autre répond, et c’est terrifiant. Et quand elle va jusqu’à reprocher à Christine d’être venue chez elle se faire violer par son père, sous son propre toit, faisant qu’ainsi son mari la trompait, on est dans l’abjection la plus totale. Christine Angot va aussi essayer de comprendre le silence de sa propre mère ; elle regrette que sa fille se soit éloignée d’elle lorsque son père la violait et dit : « Je ne suis pas capable d’en parler. »
Une histoire qui appartient à tout le monde
La photo du père est là, sur une étagère. Une séquence troublante mais pas aussi glaçante que celle des images d’archives de Christine Angot face aux moqueries misogynes sur le plateau d’Ardisson en 1999 au moment de la sortie de son livre L’Inceste. Et quand elle apprend que la veuve de son père et ses deux demi-frères ont porté plainte pour violation de domicile et atteinte à sa vie privée, son avocat lui dit : « Ton histoire, d’une certaine manière, appartient à tout le monde. […] On peut faire autant de mal en ne disant rien, qu’en disant les choses. Et parfois on fait beaucoup plus de mal on ne disant rien. » L’échange, émouvant, avec sa fille Léonore prouve qu’il a sans doute raison.
Qu’on apprécie ou non la personne et/ou l’écrivaine, le premier film de Christine Angot, présenté dans la section Encounters de la 74e Berlinale, d’une force incroyable, ne laisse pas indifférent.
ANNIE GAVA
À Berlin
Une famille, de Christine Angot
En salles le 20 mars