À travers le récit d’une passion adolescente, Laurence Cossé dessine en filigrane le portrait d’une génération, celle des années 1960, et d’une société française qui voit émerger des modes de vie dissemblables. Éducation, logement, études, activités, lectures, choix du missel (!)… tout ou presque sépare sa famille de celle de sa bien-aimée : l’une est brouillonne et agitée, l’autre est rangée et élégante. Seule leur passion commune pour la littérature crée un lien qu’elle croyait indestructible. Mais ces fils d’amour vont progressivement se détendre puis rompre sans raison apparente, laissant en elle un vide immense et une insondable meurtrissure.
Un mal inavoué
Dans sa quête de vérité sur Le secret de Sybil, cette amie tant aimée qu’elle perdra de vue bien malgré elle, l’auteure fait resurgir une foultitude de détails et d’anecdotes sur les us et coutumes de l’époque. La description mouchetée de son enfance, la résurrection de ses souvenirs et la réalité de ses pressentiments accouchent d’un récit décousu et attachant, légèrement suranné. Qui commence par sa fascination pour la chevelure de Sybil (« quelque chose d’exceptionnel et de somptueux, un don, une élection, une féérie ») ressentie comme la promesse d’un destin hors du commun. Qui se conclut par une enquête auprès de ses proches et de sa mère, veuve solitaire dont on découvre le passé familial douloureux, pour lever le voile sur ce qui l’a détruite à petit feu et était jusqu’alors inavoué : la schizophrénie.
L’élément déclencheur du roman sera le décès prématuré de Sybil à l’approche de la quarantaine. Soudain Laurence Cossé veut comprendre, écrire comme pour, peut-être, mettre un point final à une relation bâtie sur un mélange de fascination et de jalousie. Une amitié qui l’a tant fait souffrir. Et, finalement, composer un autoportrait en creux dans celui de Sybil : une étoile étincelante qui s’est brûlée les ailes et s’est éteinte trop tôt.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Le secret de Sybil de Laurence Cossé
Gallimard, 16 €