Après avoir transposé La Bohème de Puccini sur la Lune, Claus Guth s’est attelé à un tout autre voyage avec Il Viaggio, Dante. Soit passer La Divine Comédie de Dante au prisme de l’univers lynchien, qui lui permet d’assouvir ses penchants plus ou moins heureux : l’usage certes parcimonieux de la vidéo, le recours aux rideaux verts et aux costumes de cabaret, aux micros d’argent font certes partie, depuis toujours, de son attirail. Mais ils trouvent ici un écho certain : les tableaux successifs s’enchaînent, cultivent le comique comme le malaise. Jean-Sébastien Bou incarne avec conviction et une musicalité à toute épreuve un Dante à l’orée de la mort, qui dialogue avec une jeune version de lui-même. Celle-ci revêt les traits androgynes de la mezzo Christel Loetzsch, qui tutoie le timbre et la tessiture de l’angélique Lucie, formidable Maria Carla Pino Cury. Et surtout de sa Béatrice, incarnée avec force suraigu par Jennifer France. Celle-ci se mue aux enfers en un double maléfique, qui a la voix (volontairement !) chevrotante de Dominique Visse. Et l’on ne pourra qu’être décontenancé par ce choix somme toute assez sexiste et transphobe : viser l’effroi en transformant la femme aimée et fétichisée, talons rouges vertigineux à l’appui, en homme grotesquement travesti. Ce qui n’empêche pas l’ensemble d’être scéniquement séduisant. Mais Il Viaggio, Dante ne décolle cependant jamais : la faute, malgré les efforts de son librettiste Frédéric Boyer, à l’inadaptabilité d’un texte avant tout poétique ? Ou à la musique de Pascal Dusapin, pas inintéressante, mais beaucoup trop monolithique pour évoquer un paysage aussi riche et aussi mouvant ?
SUZANNE CANESSA
Il Viaggio, Dante a été donné du 8 au 17 juillet au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.