Pierre-Feuille-Pistolet, le titre français du film de Maciek Hamela, renvoie au célèbre jeu de mains. Le pistolet a remplacé ici les ciseaux donnant victoire à chaque coup à Sofia, une fillette ukrainienne qui invente cette variante. Sofia a 5 ans, une gravité bouleversante qui la place hors de l’enfance et une joie instantanée qui l’y ramène. Elle pose beaucoup de questions sur la guerre et la mort, dit sa mère. Dans le véhicule qui l’éloigne du danger, vers la Pologne près de sa sœur, son frère, sa mère et sa grand-mère, elle feuillette des illustrés avec Sanya, une autre fillette séparée de sa mère et de sa fratrie, mutique depuis le bombardement de son immeuble.
Ces familles font partie de celles qui, par millions, ont fui les bombes russes sur les villes ukrainiennes. Des gens de toutes classes sociales, de tous âges, devenus des réfugiés qui transportent tous leurs biens dans des sacs plastique. Maciek Hamela est polonais. Solidaire. Engagé. Il organise leur évacuation. Depuis le début de la guerre, il a parcouru plus de 100 000 km, sillonnant toute l’Ukraine. Il devient, pour ceux qu’il embarque à bord de son mini van 7 places, le chauffeur providentiel qui les conduit dans un lieu inconnu mais sûr, où ils retrouveront une partie de leur famille ou pas, reconstruiront une autre vie ou attendront la fin du conflit pour revenir chez eux. Pour autant, Maciek reste cinéaste et fait de cette expérience un film.
Caméra embarquée
Nous voilà embarqués avec les fugitifs et la caméra. Les paysages défilent. La route, les chicanes de béton, les checkpoints, les soldats armés et nerveux. Ponts effondrés, convois de tanks, cimetières de voitures, voies défoncées par les impacts d’obus, terres hérissées de débris de missiles, immeubles éventrés, carbonisés. La sinistre dévastation d’un pays devenu inhabitable. Maciek consulte par téléphone les informations, doit parfois changer d’itinéraire dans ces zones frontalières dangereuses. A l’intérieur de l’habitacle -huis clos propice à la conversation- la caméra fait face aux passagers qui occupent tout le cadre, saisis par un chef op invisible. Maciek presque toujours hors champ, conduit, questionne. En plans fixes, les visages se succèdent au fil des voyages comme les récits. La vie dans les caves, les séparations, les deuils, la peur des missiles, des bombes, et pour ceux qui ont connu une occupation temporaire, celle des soldats russes, des enrôlements de force, de la torture, et des viols. Des horreurs racontées sans grandiloquence.
Des visages, des vies
On s’arrête pour faire uriner un chat. On regarde son portable. On parle d’école, de projets d’avenir. On écoute Ewelina qui finance son rêve d’ouvrir un café-salon de thé, en portant des enfants pour les autres. Natasha et ses deux mois passés en sous-sol tandis que sa ville Marioupol était rasée. On s’émeut quand elle peut enfin étreindre son mari et sa fille à Kiev. On découvre Sifa, la congolaise installée à Odessa, tirée à bout portant par les Forces Spéciales russes et laissée dans la rue toute une nuit, Sifa pour laquelle Maciek transformera son van en ambulance…
Quand les événements dépassent les individus, les submergent, les noient dans une masse anonyme de chiffres et de statistiques, donner visages à quelques uns rappelle que chaque vie est précieuse, chaque trajectoire unique, chaque espoir singulier. C’est ce que montre aussi ce film.
ELISE PADOVANI
In the Rearview de Maciek Hamela
ACID CANNES 2023
En salles le 8 novembre