Zébuline. C’est la deuxième édition des Rencontres d’Arles que vous dirigez. Qu’est-ce qui pour vous fait la singularité de cet événement ?
Christoph Wiesner. C’est un rendez-vous qui a plus d’un demi-siècle d’histoire et qui a su fédérer un territoire autour du vecteur de la photographie. Au-delà de l’artistique pur, il existe plusieurs dimensions et champs d’intervention. Le mot Rencontres lui-même est important. Pendant la semaine d’ouverture, des professionnels du monde entier viennent à Arles pour échanger. Il y a aussi un volet éducatif tout au long de l’année, à travers nos activités de médiation en milieu scolaire. On peut évoquer enfin le Grand Arles Express. Ce sont des institutions extérieures à Arles -c’est le cas à Nîmes, Avignon ou encore Marseille- qui se joignent à la programmation officielle du festival. Il faut re-contextualiser tous ces éléments pour comprendre le chemin parcouru en cinquante ans. A l’époque, les Rencontres étaient loin d’avoir la visibilité d’aujourd’hui ni le rayonnement dont elles bénéficient.
Le leitmotiv de cette édition est la révélation. Qu’entendez-vous par là ?
Pour moi, un festival est un moment de révélation, de découverte. Qu’il s’agisse de mettre en lumière de jeunes talents ou des artistes oubliés. C’est notre pratique depuis longtemps, notamment à travers la diversité des prix décernés. A chaque édition, on redécouvre des photographes qui avaient un peu disparu ces dernières années ou qui sont restés méconnus pendant des décennies. C’est le cas de Lee Miller qui a été une photographe importante autant dans le domaine de la mode que celui du reportage, lorsqu’elle a par exemple accompagné les troupes alliées pour la libération de l’Europe du joug nazi. Elle avait rangé tout son travail dans des boîtes sur lesquelles est tombé son fils très tardivement. On peut parler d’une certaine façon de révélation.
En quoi l’exposition Une avant-garde féministe des années 1970 est-elle un événement ?
C’est un peu le match retour de l’exposition Masculinités, présentée l’an dernier. Les œuvres -environ 200 pour une soixantaine d’artistes- appartiennent à la collection Verbund, à Vienne, qui existe depuis moins de vingt ans. Elle s’est d’abord constituée autour de photographes et artistes qui travaillaient dans la scène germanophone. Puis elle s’est élargie à toute l’Europe et au continent américain. Cette collection montre de façon assez surprenante des similarités dans les pratiques de travail des années 70 et 80, où que l’on se trouve dans le globe, avant l’existence d’internet et des réseaux sociaux. C’est très intéressant de constater comment une réflexion, souvent liée aux mouvements de contestations de la fin des années 60 sur la position de la femme dans la société, a généré des travaux semblables. On retrouve des noms célèbres comme Cindy Sherman mais la plupart des photographes étaient totalement inconnues à l’époque où elles ont travaillé. Contrairement aux autres arts telles que la peinture et la sculpture, le medium photographique n’était pas encore accaparé par les hommes et ouvrait une autre porte d’expression.
Quelles autres surprises ou raretés attendent les visiteurs ?
Au Jardin d’été, où les portraits de Nord-Coréens par Stephan Gladieu ont connu un tel succès en 2021, nous invitons Bruno Serralongue et son exposition Les gardiens de l’eau. Ce sont des images de la lutte de communautés Sioux qui s’opposaient à l’installation d’un pipeline qui devait traverser leur territoire. La mobilisation avait conduit Obama à stopper les travaux que Trump a relancés.
Une autre exposition très importante pour moi est celle du fonds de la Croix Rouge. Ce sont 160 ans d’images qui permettent de comprendre le rôle joué par la photographie non seulement dans l’action humanitaire mais aussi dans les conflits internationaux. Comment au départ une image purement documentaire devient une prise de position politique et peut être utilisée pour des levées de fonds. Cette exposition donne également des clefs de lecture même si je ne pensais pas qu’elle aurait autant de résonance avec l’actualité terrible en Ukraine. En fait, on ne peut qu’y penser.
Quel équilibre recherchez-vous entre photographie d’avant-garde et populaire ?
La principale règle est de viser la plus grande diversité afin de toucher des publics différents. Il y a des expositions pointues qui vont surprendre et d’autres qui seront comprises et appréciés immédiatement par un grand nombre.
Regrettez-vous la disparition d’un off ?
On dit toujours « un bon in a un bon off ». Cela demande un engagement très fort et pour l’instant, rien d’aussi structuré que par le passé ne semble se profiler. J’espère que cela reviendra.
Comment les Rencontres cohabitent-elles avec le grand nombre d’événements et d’institutions culturelles ambitieux -comme les fondations LUMA et Lee Ufan- qui se concentrent dans la même ville d’Arles ?
On marche dorénavant main dans la main avec la Fondation LUMA qui met la demi-halle de la Mécanique Générale à notre disposition, pour une durée de cinq ans. Une de leurs expositions figure dans le programme des Rencontres. On a chacun un rôle différent à jouer et maintenant que ces fondations ont ouvert, on est passé à une autre phase, celle la complémentarité. On vit dans un écosystème où chacun bénéficie de l’autre. Les publics sont curieux et profitent de cette offre grandissante qui crée de l’émulation bien plus que de la concurrence.
Entretien réalisé par LUDOVIC TOMAS
Les Rencontres d’Arles Du 4 juillet au 25 septembre Divers lieux, Arles rencontres-arles.com