On s’étonne qu’un spectacle de danse contemporaine pensé pour l’église Mariendom de Neviges à Wuppertal soit transposé avec aisance au stade de la Bagatelle d’Avignon. On s’étonne aussi du titre, Liberté Cathédrale, dont les deux mots sont antithétiques. « Cathédrale », c’est l’église comme lieu d’accueil, mais c’est aussi, comme l’explique Boris Charmatz, une référence au monument que représentait Pina Bausch pour la compagnie du Tanztheater Wuppertal qu’il dirige. « Liberté », c’est la volonté d’excéder le corps et d’ouvrir la compagnie à d’autres espaces de création. À partir de cinq mouvements chorégraphiques, les 26 danseurs du Tanztheater Wuppertal et de la compagnie Terrain explorent donc l’humanité dans sa cruauté et sa solidarité.
Le corps à l’épreuve
A cappella, les danseurs en survêtements et vestes de costume, courent en fredonnant le deuxième mouvement de l’opus 111 de Beethoven qui ouvre la première séquence. Aux gestes frénétiques qui les accompagnent, succèdent de longues immobilisations. Puis, au rythme des cloches et du son strident de l’orgue, et sous les néons blancs, dans une atmosphère inquiétante, les expressions chorégraphiques et anarchiques sont répétées dans un éternel mouvement de balancier. Les corps, se séparent avec douleur et se retrouvent lentement. Défiant leurs propres limites, ils s’empilent, puis fuient, s’entremêlent et s’éparpillent, telle une société unie qui se désintègre. Dans un silence coupable qui, pour Boris Charmatz entoure les violences sexuelles de l’Église, la décomposition des gestes est brutalement interrompue par la brutalité des paroles de Fuck the Pain Away de Peaches.
Au plus près du public
Comme dans toute création de Boris Charmatz, la réflexion sur un faire collectif est mise à l’honneur. « Église » signifie avant tout « assemblée », alors que le spectacle évolue dans une enceinte sportive ou un lieu sacré, qu’importe si l’espace est partagé. Invité à s’asseoir en cercle ou sur les gradins, au plus près des danseurs, le public a ainsi une vision périphérique de l’œuvre et participe à son processus créatif. Tantôt frôlés par les artistes, tantôt apostrophés directement par leurs litanies, ou leurs cris sporadiques, les corps des spectateurs sont également sollicités pour servir les chorégraphies qui se déploient dans l’espace et ses moindres recoins. Les gradins, les piliers, les barrières deviennent des terrains d’exploration et le public s’implique et sort de sa zone de confort. Dans des temps qui s’étirent parfois et se juxtaposent, demeure néanmoins une question : celle de notre rapport au corps de l’autre dans ce qu’il a de dérangeant et de rassurant.
CONSTANCE STREBELLE
Liberté Cathédrale a été donné du 5 au 9 juillet au stade de Bagatelle, Avignon