Zébuline. Une curiosité en éveil, une attention aux réalités d’un territoire, des formats qui se renouvellent… Quel regard portez-vous sur l’évolution du festival ?
Michaël Dian. La première édition a été imaginée en 1997, sur un coin de table de la cafétéria du Conservatoire de Paris d’où la plupart des musiciens étaient issus : une liste d’œuvres du répertoire et les noms de quelques copains musiciens. Un petit flyer, bricolé à la hâte, circulait à Chaillol et alentours, photocopié et distribué par l’Office de tourisme de Chaillol. L’organisation était rudimentaire mais c’était plein d’élan et très convivial. Les concerts étaient pleins, un chapeau tournait à la fin et la soirée se prolongeait tard dans la nuit, à la Bagatelle, l’hôtel restaurant de la station. Le Festival de Chaillol a pris forme l’année suivante, lorsque Gérard Blanchard, le maire de Chaillol – il l’est encore – a eu l’idée de rouvrir l’église du Hameau de Saint-Michel, fermée depuis plusieurs décennies. Il s’est passé là quelque chose, une alchimie miraculeuse qui perdure. Qui aurait imaginé que, vingt ans plus tard, nous y accueillerions Françoise Nyssen, ministre de la Culture [de mai 2017 à octobre 2018, ndlr].
Qu’est-ce qui vous a poussé à investir ce territoire, de penser la diffusion et la création sur des modes nouveaux ?
Je passe sur l’histoire familiale qui me lie au Champsaur, il faudrait un livre pour la raconter ! Le Festival de Chaillol est rapidement devenu un événement pour la commune et pour les villages des environs qui se manifestaient pour recevoir un concert, nous faisant pressentir le devenir du projet. L’itinérance est l’une des décisions les plus fécondes que nous ayons prises. Elle a créé une dynamique, un mouvement. Avec Marc Lourdaux et Hervé Cortot, les premiers présidents de l’association, nous avons senti que la relation au territoire était une dimension centrale du projet. Comme artiste musicien, défendre une programmation d’excellence me semblait aller de soi. J’aurais pu en rester là mais j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont appris à regarder le paysage au-delà de la carte postale, à comprendre qu’il est une réalité historique, vivante, habitée. Aujourd’hui, ces notions sont dans l’actualité, poussées sur le devant de la scène par la gravité d’une crise systémique qui oblige à repenser nos façons de faire, à imaginer une relation plus juste à nos environnements. J’ai été confronté très tôt à ces sujets en œuvrant avec les gens du pays qui en savaient long sur le sujet et qui ne m’ont pas lâché ! Cela a été une magnifique école de terrain.
La programmation de cette nouvelle édition est d’une grande diversité, fait une large place à la création, un élément constitutif de vos saisons. Elle offre aussi de nombreuses propositions où la musique s’offre autrement. Comment l’avez-vous imaginée ?
Le concert est un moment privilégié, tellement essentiel. Mais aligner quinze propositions, aussi exceptionnelles soient-elles, ne fait pas une saison. Pour qu’émerge un sens, il faut un agencement. Pas de relief sans perspective. Il s’agit de dessiner un paysage en imaginant des circulations parmi les gestes artistiques retenus, choisis amoureusement. Ainsi, apparaît une ligne d’horizon que le regard embrasse, dont les concerts sont comme les sommets. Comme en montagne, ils communiquent entre eux, par des chemins, des résonances qu’il faut révéler et qui sont autant d’invitations à se mettre en marche. C’est le sens du projet culturel que nous portons : donner accès en créant des situations et des modalités de relation à la musique pour que chacun trouve un endroit pour se mettre à l’écoute : ateliers de pratique, méditation en musique, sieste musicales, déambulations au musée, plateau radiophonique en public. L’autre élément tient à la nature de la programmation, qui propose beaucoup de répertoires originaux, avec de formidables qualités d’invention et une salutaire liberté de ton. Aujourd’hui, les artistes incorporent librement les ressources musicales les plus variées, faisant dialoguer des traditions musicales qui étaient longtemps restées encloses. Avant d’être un vocabulaire, la création musicale est une attitude faite de curiosité et d’ouverture au monde, un souffle libre et vital. Aucune grammaire musicale n’est à exclure, toutes peuvent être le terreau d’un geste inédit. C’est l’effet de la révolution numérique qui fluidifie l’accès aux sources, abolit les anciennes hiérarchies, invite à l’hybridation des langages. Proposer un large panorama de ces musiques, ouvrir des chemins, se mettre en route, c’est tout l’esprit du Festival de Chaillol depuis sa création.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI
Festival de Chaillol Du 15 juillet au 11 août Divers lieux du Champsaur, des Sources du Buëch et de Gap-Tallard 09 82 20 10 39 06 40 11 37 78 festivaldechaillol.com