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AccueilLittératureDjaïli Amadou Amal : « Certaines traditions sont devenues inconcevables »

Djaïli Amadou Amal : « Certaines traditions sont devenues inconcevables »

Prix Goncourt des lycéens 2020 avec Les impatientes, Djaïli Amadou Amal revient avec le harem du roi. Entretien

Zébuline. Les impatientes (Éditions Emmanuelle Colas) était une autobiographie romancée. Quel est le thème de votre nouveau livre ?
Djaïli Amadou Amal.
Bien que je me sois inspirée de ma vie, les impatientes n’est pas à proprement parler autobiographique. J’ai puisé aux sources d’autres vies, dans les réalités de mon entourage. C’est un roman polyphonique qui donne la voix à trois femmes qui parlent des violences qu’elles subissent, dont le mariage forcé, le viol conjugal ou la polygamie. Mises à part ces trois voix, nous avons celles des mères, tantes, sœurs, qui souffrent, mais continuent de transmettre un seul et même conseil : patience.
Mon nouveau roman, le Harem du roi, parle de polygamie et de servitude et questionne les traditions avec ses pesanteurs sociales aux prises avec la modernité. C’est l’histoire d’un médecin, Seini, qui forme un couple moderne avec Boussoura, professeure de littérature. Ils vivent heureux, jusqu’au jour où Seini décide de devenir Lamido, un roi tout puissant. Il se laisse prendre au jeu du pouvoir, accepte de jeunes concubines qui alimentent son harem royal au grand dam de Boussoura.

Pouvez-vous nous parler un peu plus des personnages de ce livre ?
Boussoura est une femme forte qui se croyait à l’abri de la polygamie. Elle désenchante quand son époux devient Lamido. Seini le roi est pris en étau entre modernisme et tradition, il laisse tomber ses convictions au profit du pouvoir et de sa libido. On découvre aussi Fanta l’amoureuse audacieuse; Aabou l’adolescente vulnérable ; Safia la femme meurtrie pour qui le harem devient un refuge, chacune d’elles avec ses peurs et ses espoirs. Des destins qui s’entremêlent. Le Harem du roi est une odyssée dans l’antre de l’organisation traditionnelle peule à travers son lamidat.

Est-ce que l’un d’entre eux vous ressemble ?
On retrouve toujours de l’écrivain dans une œuvre. Mais je n’ai jamais été une épouse du Lamido et encore moins une concubine ! [rires]. Ce fut une expérience exaltante d’écrire ce texte. Le harem est un environnement fermé que je ne connaissais pas. Le premier défi était de s’immerger et de cerner les mécanismes qui cadencent son quotidien. Le roman s’appuie sur l’histoire traditionnelle peule. Il m’a fallu plus de deux ans de recherches pour m’approprier l’univers du palais royal et engager ma production romanesque. À 48 ans, également l’âge de l’héroïne, il ne m’a pas été difficile d’exprimer les émotions de Boussoura et les questionnements des femmes à l’approche de la ménopause.

Ce conflit entre modernisme et tradition vous semble-t-il encore important en Afrique ?
En Afrique, il y a cette volonté de se développer même si on est attaché à nos traditions. Le défi serait de trouver le juste équilibre. Mais certaines traditions sont devenues inconcevables à notre époque et il est temps d’en parler et de s’en débarrasser. Les traditions sont des pratiques millénaires qui nous viennent des hommes qui nous ont précédés, nos ancêtres comme on dit. Une tradition doit s’arrêter dès lors qu’elle crée de la souffrance ou qu’elle est anti-productive. Certaines d’entre elles étaient adaptées à un moment donné de l’histoire, mais ne le sont plus. Toute société qui n’aspire pas au progrès et à son épanouissement, qui n’interroge pas ses traditions et ne les fait pas évoluer à la lumière des valeurs universelles qui sont celles de notre humanité est vouée à sa propre déchéance. 

Pourquoi avez-vous commencé à écrire ?
Je suis née à Maroua (Cameroun) en 1975. Je dois ma passion des livres à un roman qui parlait d’une forêt enchantée et de fées que je n’ai jamais voulu quitter. Dans le sillage de mon amour pour la lecture, j’ai toujours écrit, dessiné. Je tenais un journal intime. L’expression littéraire s’est installée avec la prise de conscience des réalités sociales. À travers l’écriture, je mets les doigts sur les maux qui heurtent ma sensibilité, et notamment les discriminations faites à la femme.

On vous qualifie d’auteure féministe, vous considérez-vous ainsi ?
Si parler des femmes et de leur droit, lutter contre les discriminations dont elles font l’objet, comme les violences liées à leur genre, fait de moi une féministe, alors je le concède, et fièrement. La problématique est suffisamment majeure pour être au cœur de la stratégie de tout pays qui se veut engagé dans la voie du progrès et de développement. 

Un modèle ?
Mariama Bâ. C’est à travers le classique de cette autrice sénégalaise, Une si longue lettre, que j’ai pris conscience de la condition de la femme dans ma propre région.

Vous avez reçu un grand nombre de prix, qu’ont-ils changé à votre vie ?
Ils me donnent plus de responsabilité et aident à porter ma voix plus loin qu’elle n’aurait été autrement. Au lendemain du Goncourt des Lycéens j’ai été faite ambassadrice de l’Unicef au Cameroun. En 2012 j’ai fondé l’association Femmes du Sahel qui œuvre pour l’éducation de la femme dans le Nord-Cameroun. J’ai davantage investi dans l’association. Deux bibliothèques ont vu jour à Douala et à Maroua qui rencontrent un franc succès auprès de la jeunesse grâce aux livres et aux ateliers culturels qui y sont organisés. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le harem du roi, de Djaïli Amadou Amal
Emmanuelle Colas – 21,90 €
Sorti le 19 août

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