lundi 18 mars 2024
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Doubles faces

« Voilà. C’est tout. » Le père de Carina, la narratrice, vient de lui signifier sa décision irrévocable de quitter la France, d’aller s’installer au Maroc, pays où il est né, pour y vivre une retraite heureuse. Un retour à ses origines. Il en avait été chassé avec sa famille en 1956 après la proclamation de l’indépendance. Âgée d’une trentaine d’années, Carina s’essaie à l’écriture depuis longtemps sans grand succès. Plutôt seule et sans amour, après une enfance troublée et marquée au fer rouge par l’abandon de la mère qui l’a laissée avec ses deux grands frères aux seuls soins du père ; elle avait six ans. Quelques mois plus tard, il lui annonce son mariage avec une très jeune Marocaine en même temps que sa conversion à l’Islam. Cette désertion du père fait ressurgir la douleur de l’abandon maternel. Entre temps, Carina a rencontré un jeune architecte avec lequel se noue une vraie relation. Carina accepte sa proposition de s’installer chez lui pour se consacrer à son projet d’écriture. Elle commence un roman dont l’héroïne de six ans n’accepte pas la mort de sa mère. Les souvenirs de son enfance reviennent en boucle et se mélangent à la fiction : le père corrigeait ses fils à coups de rallonges électriques et a imposé des caresses à sa fille. Plus tard, le père annonce qu’il déshérite ses enfants au bénéfice de son épouse. S’impose alors la construction en abyme du récit qui va très loin car l’autricea vécu un conflit du même type avec son père – il l’a également déshéritée. Carina est un double de Caroline comme le père est un double du roi Lear de Shakespeare qui déshérite Cordélia. En exergue de son livre Caroline Dorka-Fenech a prévenu : « Je est ici l’entrée d’un labyrinthe ».

Ce dédoublement souligne comment le vécu et l’intime alimentent la fiction et comment la projection dans l’écriture peut ouvrir la voie à une libération. Le premier roman de Caroline Dorka-Fenech, Rosa dolorosa, publié en 2020 et salué par la critique a obtenu six Prix. Il y était question de la relation fusionnelle entre une mère et son fils. Ici, c’est l’image du Père qui s’impose, soutenue par une écriture, dense, qui prend parfois une tournure incantatoire. On frémit à cette lecture destructrice qui aurait eu plus de poids si elle avait été plus épurée. Sans doute l’autrice a-t-elle été débordée par un afflux d’émotions qu’elle nous a fort bien restitué.

CHRIS BOURGUE

Tempêtes et brouillards, de Caroline Dorka-Fenech
La Martinière - 18,50 €
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