Pour Piller | Ekphrasis l’Hôtel des collections a repris son nom d’hôtel Montcalm désormais dédié aux expositions monographiques. L’artiste belge Berlinde De Bruyckere investit la totalité du white cube de ses sculptures en cire, bois, tissus et peaux animales. Le parcours est saisissant. Il y a là des chevaux, des corps, des troncs d’arbres ; tous tronqués, hybrides, comme arrêtés dans le processus de transformation qui les condamnait à disparaitre. Ce ne sont pas des natures mortes, ce sont des formes ressuscitées ; avec toute la douleur qui les habitent encore, survivante. Les mélanges de substances et de corps posent l’œuvre de la plasticienne entre expérience quasi médicale et tentative d’offrir un ultime souffle de vie aux âmes qu’elle exhume. Créés spécialement pour l’exposition, les Trois Archanges occupent le centre d’une des grandes salles. Trois princesses Peau d’Âne ployant sous le poids de leur parure animale, puissantes autant que misérables. Les pieds de cire sont en demi pointe, les genoux bleuis. Le reste du corps disparait sous la sombre pelisse. Lugubre ? Oui. Comme le sont ces chevaux réassemblés, sanglés, morts. Ou ces harnais habités d’une présence, muées en gigantesques vulves tuméfiées. Les arbres sont des sacrifiés, eux aussi : foudroyés, broyés.
Et pourtant, une sensation de complétude s’installe. La conscience d’être au bon endroit, là où les turpitudes du monde sont pensées et transcendées. La prose poétique de Antjie Krog, auteure Sud-Africaine, ponctue les séries de la sculptrice : « serions-nous devenues meilleures en nous contentant de nous contempler épanouies ? » Peut-être que oui, finalement, les anges pourront à nouveau s’envoler et regarder la Terre tourner, encore un peu.
Contre-nature, du grotesque flamboyant
Contre-nature convoque aussi l’alchimie, celle de la terre et du feu ; en un ensemble de quelque deux-cents céramiques présentées à La Panacée dont la scénographie signée Mr. & Mr. est remarquable. Claire Lindner illumine la première salle de ses créatures tortueuses pleines de couleurs, toutes très récentes et inspirées par le mouvement des nuages. Aussi séduisantes que des bonbons, inquiétantes comme des champignons vénéneux, ses pièces sont habitées d’un flux dont les méandres trouvent un écho au plus profond des tripes. Anne Wenzel a couvert d’arbres peints à l’encre noire la salle qui abrite son Silent Landscape (2006), installation monumentale. Des sapins, sur un plateau de six mètres de long, forêt décimée, tragique témoignage d’une nature qui souffre. Miroir discret, quelques centimètres d’eau font se multiplier les reflets et les questions. Et les quinze masques (Sans titre, 2020) de Sylvie Auvray, flamboyantes gueules cassées, donnent au grès la puissance et la magie d’une boule de cristal.
ANNA ZISMAN
Piller | Ekphrasis, Berlinde de Bruyckere Jusqu’au 2 octobre MO.CO., Montpellier moco.art
Contre-nature, une épreuve du feu Jusqu’au 4 septembre MO.CO. Panacée, Montpellier