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Faire du récit table rase

Je suis une fille sans histoire d’Alice Zeniter a fait sa dernière escale au Théâtre de La Criée

Pensé en parallèle de son essai Tout une moitié du monde, le seule en scène d’Alice Zeniter explore les mêmes travers et détours de la fiction. Avec un réel désir de sérieux mais aussi une certaine fantaisie, l’autrice très à l’aise en plateau questionne les mécanismes qui ont façonné les récits d’antan et parasitent encore aujourd’hui le geste d’écriture, y compris ceux de ses propres textes. Les idées, fondatrices, d’Ursula Le Guin ou d’Alison Bechdel sont évidemment évoquées : la « fiction-lance » des chasseurs préférée dès le paléolithique aux « fictions-paniers » des cueilleurs ; les personnages féminins dépourvus de nom, de chair, et de parole autre que celle les raccrochant à un homme. Le goût du spectaculaire intimé par la Poétique d’Aristote ne pouvant finalement qu’aboutir à une approche viriliste et tapageuse de la littérature, semble conclure l’autrice qui refuse cependant de limiter son propos à cette seule conclusion. Quelques embardées à l’ironie savamment dosée vers des concepts de narratologie et de sémiologie empruntés, entre autres, à Umberto Eco, font mouche, et rappellent combien le désir de fiction et d’imaginaire peut se greffer au réel, jusqu’à complètement le déformer.

Ça cloche

Quelque chose cloche cependant dans cette approche pourtant rafraîchissante sur le papier. Est-ce son ancrage malgré tout un peu scolaire, et ce besoin de l’autrice à rappeler l’ampleur de son parcours universitaire, comme pour asseoir une légitimité pourtant déjà bien acquise ? Ou encore cette réduction de la fiction au format et non pas à la forme, et de la littérature au seul récit ? Et ce au détriment de la langue, lieu de trouble par excellence, qui a su transgresser cadres et codes à tant de reprises. Est-ce, peut-être, le procès peu aimable fait à Anna Karénine, à Emma Bovary ou à la Princesse de Clèves, invariablement qualifiées de « pénibles, pénibles, pénibles … » ? Toujours est-il que la crise des représentations trouve ici un réel écho, à défaut d’aboutir à une conclusion séduisante. 

SUZANNE CANESSA

Je suis une fille sans histoire a été joué du 26 au 29 septembre au Théâtre de La Criée
Son spectacle Edène y sera joué le 7 octobre
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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