samedi 27 avril 2024
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« Faire ensemble »

Du 8 au 10 décembre, se tiennent les Rencontres de l’éducation populaire à Marseille. Ateliers, tables rondes, spectacles entendent questionner nos pratiques collectives au service de l’émancipation de chacun. Entretien avec Marie Batoux, adjointe au maire de Marseille en charge de l’Éducation populaire, des activités périscolaires, des centres aérés, des Maisons pour tous et des Maisons de la citoyenneté

Zébuline. L’éducation populaire est une nouvelle délégation, créée par votre majorité en 2020. Êtes-vous satisfaite de ces trois premières années d’exercice ?

Marie Batoux. Si la question est de savoir si j’ai réintroduit de l’éducation populaire dans la politique publique, cela reste un sujet en cours ! et c’est pour cela que l’on organise les Rencontres. Car l’éducation populaire est un concept lointain, vaste, qui a été parfois malmené, parfois dévoyé, discrédité, perçu comme quelque chose qui n’est plus actuel, qui ignore que le peuple a une culture en voulant « l’éduquer ». Finalement, ce que l’on fait depuis ces dernières années avec les Rencontres, c’est se poser la question d’une éducation populaire du XXIe siècle, qui soit en phase avec une société qui a changé, mais qui reste sur ses principes fondateurs. Et on progresse, notamment sur la question de la participation de l’individu à la politique publique.

L’éducation populaire connaît, selon les époques ou les personnes, plusieurs définitions. Comment envisagez-vous ce concept ?

L’éducation populaire, pour moi, c’est un espace d’émancipation de l’individu dans un cadre collectif. Le « faire ensemble » est primordial dans la manière dont on peut penser les pratiques professionnelles, que ce soit des animateurs ou des acteurs d’associations  culturelles, sportives, citoyennes. Le dénominateur commun, ce qui permet de rassembler ceux qui se reconnaissent dans l’éducation populaire, c’est finalement la manière de produire un processus qui s’appuie sur l’individu dans un cadre collectif.

D’ailleurs le thème des prochaines Rencontres s’inscrit autour des « pratiques collectives ».

Exactement. La méthode pour construire le programme de ces Rencontres a été de garder les co-animateurs de l’année dernière, pour faire un bilan et progresser sur l’édition 2023. En septembre, nous avons invité tous ceux qui avaient été présents aux dernières rencontres pour faire un point d’étape avec les problématiques qui avaient été abordées et voir comment on allait plus loin. Donc on a vraiment été dans un processus de co-construction et, effectivement, ce qui est important dans la pratique des uns et des autres c’est que dans cette période historique où la pratique individuelle est valorisée à l’extrême, la question du collectif a des vertus et nous devons les remettre au centre de la réflexion. 

Marie Batoux © VdM

Pourquoi était-ce important d’organiser ces Rencontres ? 

C’était une délégation qui n’existait plus, ou qui n’a peut-être jamais existé à Marseille. Et la priorité était de se remettre d’accord sur ce qu’était l’éducation populaire. L’arrivée de Robin Renucci au Théâtre de La Criée a été un moment important : on s’adresse à quelqu’un qui travaille sur ces questions dans tous les endroits où il est passé depuis longtemps, donc je l’ai interrogé sur ce que signifiait pour lui, en tant que directeur de La Criée, le concept de  pratique artistique et collective. 

En 2022, [Les Rencontres de l’Éducation populaire de 2021 ont été perturbées par le Covid, ndlr] beaucoup de gens travaillant dans des petites structures, culturelles ou associatives, se sont mobilisées. On a été surpris par cette appétence. On n’avait pas forcément prévu de faire de nouvelles Rencontres mais c’était important pour moi de continuer ce dialogue-là, qui a été fondateur et fédérateur. Quelle est cette capacité que l’on a à travailler avec les habitants, qu’on soit élus, professionnels, acteurs sociaux, éducatifs ou culturels. Et donc on a construit deux journées, une première qui est sur un temps de rencontres professionnelles, et une deuxième ouverte au public et à tous ceux qui se reconnaissent de l’éducation populaire. Parmi les temps forts le spectacle Nos Héroines, particulièrement symbolique. C’est une pièce participative, construite par Wilma Lévy et sa compagnie de théâtre avec des femmes qui sont quotidiennement usagères d’un centre social

Il y a un débat organisé autour de l’esprit critique, un thème qui est souvent au cœur de l’éducation populaire. Certains disent pourtant qu’à trop vouloir enseigner l’esprit critique individuel, on favorise la montée des pensées complotistes. Que répondez-vous à cela ? 

Je pense exactement le contraire, c’est pour cela que l’on a un atelier sur l’éducation aux médias. Certains qui se pensent très critiques au regard de la pensée institutionnelle, et donc des journaux qu’ils pensent affiliés au pouvoir politique, sont beaucoup moins critiques quand une autre pensée arrive par les réseaux sociaux, qu’ils ont eux mêmes choisis, où ils dialoguent dans un cercle restreint sans questionner la manière dont l’information a été construite. La pensée critique nous permet de comprendre qu’un éditorialiste et un journaliste ce n’est pas la même chose. Que ça a sa place dans un journal, mais c’est une des choses qui probablement floute la perception du citoyen. C’est aussi cette incapacité qu’ont peut-être les médias à mettre en perspective une pensée, comme pendant le Covid, où l’on n’a pas été capable d’expliquer que la pensée scientifique, face à l’imprévu, avait besoin de temps pour se construire, et pouvait faire des allers retours sur son savoir. C’est cela que l’on doit reconstruire en terme de politique publique : nous devons nous armer collectivement face à ces questions qui émergent dès l’école, et en dehors de l’école. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Les Rencontres de l’éducation populaire
Du 8 au 10 décembre
Divers lieux, Marseille
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