mardi 30 avril 2024
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Feelgood, pass et manque

– Oh  dis donc, encore le pass culture ? Tu pourrais pas faire un édito feelgood pour une fois ? 

– Mais j’essaye j’essaye, face aux grandes catastrophes du monde menaçant !! Regarde regarde, j’ouvre les perspectives de la paix, je parle de Matisse et de sa Joie de vivre, je remarque toutes les flammes qui s’allument…

– C’est ça que t’appelles feelgood ? T’as entendu parler du journalisme de solution ? Tu peux pas pour une fois mettre l’accent sur ce qui marche ? Franchement, regarde, dans les librairies, sur les plateformes de streaming, mêmes dans les bibliothèques, les programmes des théâtres parfois aussi, la rubrique feelgood apparaît partout partout. Il est plus question de divertir, de passer un bon moment en mettant les douleurs du monde en veilleuse, mais de prendre enfin du bon temps avec une bonne tranche de comédie, un truc qui finit bien quoi.  C’est pas du luxe en ce moment. Tu vas encore nous emmerder avec ton pass culture et ta politique de la demande et de l’hégémonie culturelle de masse ?

Déso, et oui, encore. Et les solutions, celles que souligne notre journalisme, ce sont les artistes qui les portent. Que l’État consacre plus de 250 millions à fournir aux jeunes des coupons d’achat pour les grands groupes de produits industriels numériques et audiovisuels, et diminue d’autant le budget qu’il allouait à la culture publique, à la création, à la décentralisation des moyens, n’est pas acceptable. Rachida Dati le constate aujourd’hui, il faut qu’elle aille au bout, et arrête la gabegie. La réformer ne suffit pas, la politique est injuste et inefficace, ne rapportant qu’aux industries culturelles, du livre Bolloré au streaming Spotify. S’il s’agit de financer la culture publique avec les impôts de tous, autant donner les moyens à ceux qui la fabriquent, en cessant de diminuer les budgets de la création. 

Car le constat est là : les salles sont pleines. C’est assez miraculeux, étant donnée la concurrence exercée par les industries culturelles et le lavage de cerveau médiatique. Partout, carton plein. À l’Opéra de Marseille pour Massenet, à La Criée pour un Molière, à Babel Music XP pour le monde, au Festival de Pâques, à Martigues pour Pommerat, au Vidéodrome 2 pour un festival trans, au Zef et à Klap pour Rigal, le public est là, divers pour peu qu’on aille à la fois voir de l’opéra et des musiques du monde, du théâtre classique ou contemporain, de la danse, des films, des débats. 

– C’est plein, mais plein ne viennent jamais. 

– Évidemment. Mais ce constat forcément juste de l’échec de la démocratisation culturelle est l’arme avec laquelle l’État et certaines collectivités publiques coupent le trop maigre budget alloué à la création, aux compagnies, aux artistes et à ceux qui les diffusent.

Un constat qui se renouvelle année après année, trimballant avec lui le reproche d’élitisme : la culture publique ne touche pas tous les citoyens. Les publics sont trop blancs, trop féminins, trop âgés…

– Ok ok, mais que faire ?

– Exactement ce que nous faisons. Proposer, avec obstination, une alternative au stade, au streaming, à la VOD, au feelgood, à la culture de masse qui impose ses produits en les rabâchant. Garder vivants ces lieux où les artistes fabriquent un regard vivant sur le monde que l’on peut partager avec eux, dans la proximité chaleureuse du spectacle. Comprendre combien ils nous sont nécessaires. Comprendre qu’ils ne sont pas là pour nous livrer du feelgood. Retrouver Aristote. 

– Ah non là non pas Aristote dans un édito. Déjà que tu te la joues pseudo Platon avec ton dédoublement dialogique

– Et pourtant 

– Vraiment la catharsis ?

– Faire éprouver les douleurs du monde pour mieux les combattre n’est-il pas le but essentiel des artistes ? 

– Et la comédie ? 

– Depuis toujours elle ridiculise les puissants ce n’est pas le feelgood. L’apparition de cette catégorie est le signe d’une société dépressive réduite à l’apathie. Plutôt que de détourner le regard des publics vers des bonheurs illusoires, les artistes peuvent, doivent, découvrir les chemins qui leur feront combattre l’impuissance.

AGNÈS FRESCHEL ET ALCIBIDON

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