Nous ne l’avons pas choisi : cette semaine notre hebdo, reflet de l’actualité culturelle, pose la question de la visibilité des artistes femmes à de nombreuses reprises. En constatant les immenses progrès : le Festival d’Avignon leur ouvre enfin la Cour d’Honneur, Musical Bounce Back à Marseille et Présences Compositrices à l’Abbaye de la Celle affirment l’importance des femmes dans l’histoire de la musique savante.
Côté musiques actuelles, Girl, Girl, Girl à Avignon ou Eclipse de l’Une à Istres, constatent l’abyssal déséquilibre et programment des femmes. Les musiques du monde en particulier étant fondées sur des répertoires clivés, la mixité reste difficile à atteindre : De Vives Voix, à Marseille, programme un chœur d’hommes, puis un chœur de femmes. Mais c’est sans scrupules que le Syndicat des musiques actuelles, pourtant sensible à ces questions, programme le 11 avril à l’Espace Julien trois concerts 100 % masculins. Ou que le nouveau Fonky Festival de Mars programme 2 femmes seulement sur 23 rappeurs. Le rap serait-il une affaire d’hommes ? Et les femmes, comme le suggère DJ Djel, seraient-elles plus (naturellement) portées vers la danse classique ? Accepter que le rap et les musiques actuelles reposent sur une franche domination masculine est grave, les représentations qu’ils génèrent impactant massivement les jeunes.
Les arguments opposés au principe de parité sont généralement de trois types : ils ne trouvent pas de femmes (cherchez mieux), ils ne veulent pas programmer en fonction du genre mais du talent (ça vient avec la testostérone ?), ou ils sous-entendent que les féministes prônant la parité attaquent les racisés et leurs représentations genrées.
Violence des classes voisines
Ce soupçon de racisme est particulièrement dangereux : opposant les luttes, il nie la double domination dont sont victimes les femmes racisées. Et ne repose sur aucune réalité : Aflam parviendrait à « trouver » des films de réalisatrices palestiniennes, iraniennes, syriennes, mais il n’y aurait pas de jeunes rappeuses émergentes qui s’affranchissent des dominations de genre, de classe et d’origine à Marseille ?
C’est en remplaçant la lutte des classes, celle qui oppose le peuple aux capitalistes qui les exploitent, par la lutte des classes voisines – smicards contre RSA, petits cadres contre employés – que le capitalisme actuel parvient à se maintenir, ouvrant ainsi la porte aux extrêmes droites aptes à générer les crises dont il a besoin pour ses cycles de destruction/croissance.
Cette domination capitaliste, exercée très massivement par des hommes blancs hétérosexuels, minoritaires donc, ne parvient à se maintenir qu’en ralliant des dominés à sa cause. Des féministes et des LGBT agressé·eƒs par des racisés, des racisés agressés par des prolétaires, des racisées par des racisés, des trans et des roms par tous à la fois.
Angela Davis, il y a plus de 50 ans, refusait ces oppositions et ralliements en incarnant l’intersectionnalité. Le spectacle qui passe au Sémaphore de Port-de-Bouc rappelle son combat. Féministe, noire, lesbienne, enfant de la ségrégation, elle pouvait porter ensemble toutes les luttes, ce que nous ne pouvons pas tous·tes. Mais nous pouvons avoir conscience d’une nécessaire concordance des luttes entre dominé·e·s, pour déminer l’affolante explosion de violence entre classes voisines.
AGNÈS FRESCHEL