« Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi. » Une petite annonce du metteur en scène et dramaturge Mohamed El Khatib dans le journal et voilà sept « vieux » embarqués dans une aventure hors du commun, celle de porter à la scène leurs histoires amoureuses et sexuelles. L’idée du spectacle a émergé après la crise du Covid et le scandale déclenché par l’ouvrage Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet qui a révélé la cruauté du fonctionnement des Ehpad, où sont abandonnés celles et ceux qui deviennent une charge. Difficile alors d’envisager qu’ils puissent encore tomber amoureux et faire l’amour. Aussi, une centaine d’entretiens a mené à un travail collectif, joué à la Chartreuse, où les récits intimes se font écho et réhabilitent une ancienne génération bien vivante.
Théâtre documentaire
Ils et elles ont entre 76 et 92 ans. Leurs prénoms n’ont pas été modifiés. Si Jean-Pierre, Martine, Annie, Chille, Jacqueline, Sally et Micheline, accompagnés de Yasmine – qui joue leur aide-soignante – ne portent parfois pas leurs propres récits, toutes les histoires passées sont vraies. Dans une salle de bal, une fontaine à eau et une collation sur une table en arrière-scène, une petite estrade et des chaises éparpillées sur lesquelles s’assoient les comédiens qui se déplacent, pour certains en déambulateur ou en fauteuil roulant. Chacun est libre d’aller et venir. Mohamed El Khatib intervient sur scène, guidant parfois son équipe. Il tient à rendre la vie artistique sans la transformer. De là, naît la beauté folle d’un théâtre éphémère : ces comédiens vivent peut-être leurs derniers instants de vie, mais « plutôt mourir sur scène que de finir en Ehpad ».
Avec ce spectacle, on rit beaucoup et on pleure tout autant. Il faut dire que les comédiens sont crus et bouleversants dans leurs souvenirs et leurs anecdotes. Leurs récits intimes sont le reflet de leur époque : empêchés en raison de leur religion, de l’homophobie et des préjugés d’une époque, ils ont longtemps tu leurs amours. Mais leurs désirs présents disent aussi de notre société, celle qui décrète que l’amour et le sexe ont un âge que la vieillesse a dépassé. Cette invisibilisation génère des tabous qui conduisent parfois au pire. L’histoire d’Anne de St-André, amoureuse de Jean-Claude qui s’est donnée la mort parce que la famille de ce dernier refusait leur relation, incarne une indifférence et une infantilisation pour les sentiments de nos aînés, que les proches et les institutions ne veulent pas comprendre. La pièce réhabilite les corps vieux dans leur fragilité et leur paradoxale vitalité. Et ça fait du bien.
CONSTANCE STREBELLE
La vie secrète des vieux
Jusqu’au 19 juillet
La Chartreuse, Villeneuve-lès-Avignon