On comprend dès l’entrée que Clément Marchand est un scénariste aguerri : virtuosité des dialogues, enchaînements des situations, peinture approfondie des personnages. L’auteur signe aussi sa première mise en scène : un doublon gagnant dans lequel voltigent deux comédiens. Jean-Baptiste Guichard (Émile) faux calme, délicat, ambigu pour les autres mais pas pour Guillaume Tagnati (Maxime), le footeux, accro à une réussite conquise par les muscles de sa volonté. Ces deux-là vivent une histoire d’amitié improbable, qui s’avèrera indestructible malgré les vacheries de la vie.
L’enfer des cuisines
Ils ont 15 et 16 ans quand ils s’apprivoisent lors d’une formation de cuisiniers, l’une des plus ingrates qu’on puisse imaginer, hérissée d’humiliations et de coups bas. Émile en est le principal souffre-douleur en tant que fils d’un grand chef. Puis ils intègrent l’équipe d’un restaurant gastronomique. Une opportunité ? Non : un châtiment. Clément Marchand décrit sans complaisance ce milieu absurde où les jeunes cuistots triment des heures entières pour un salaire de misère, plient l’échine sous les insultes, doivent se taire et répondre : « Oui chef ! » Émile veut y échapper, Maxime veut y réussir et la branche de leur amitié craque jusqu’à se rompre. Mais pas complètement.
Il est inhabituel qu’un auteur au théâtre traite du thème de l’amitié. Avec ces Frère(s) toute une panoplie d’émotions nous submerge, secoués par la beauté des lumières, l’ingéniosité épurée du décor, les musiques et les chorégraphies de Delphine Jungman. Les comédiens s’investissent corps et âmes dans cette partition délicate, tremblante sur le fil de sentiments : ils connaîtront l’enfer des cuisines, les bagarres napolitaines, les matches de foot hystériques et même la prison. Malgré la rudesse des épreuves, ils resteront frères de cœur.
Jean-Louis Châles
« Frère(s) » est donnée jusqu’au 29 juillet à La Scala Provence.