dimanche 28 avril 2024
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Gaspard Koenig, en terrain conquis

L’auteur présente Humus, phénomène durable de la rentrée littéraire, dans une série de rencontres dans la région

Certains lui auraient volontiers décerné le Goncourt. D’autres l’annonçaient déjà gagnant pour le Renaudot. Battu non sans surprise par Jean-Baptiste Andrea pour le premier et Ann Scott pour le suivant, Gaspard Koenig s’est cependant vu attribuer le prix Giono et le prix Interallié pour Humus, roman d’apprentissage qui ne cache ni ses ambitions politiques, ni ses prétentions littéraires. Un succès singulier et en demi-teinte pour un auteur coutumier de la chose, qui s’est illustré dans un curriculum aux multiples facettes et retournements souvent insolites, du goût pour l’essai politique au roman balzacien, en passant par de sérieuses velléités politiques.

Présidentiable déchu

Car le dernier coup d’éclat de ce normalien agrégé de philosophie remonte à l’élection présidentielle de 2022. Un an après la formation de son propre parti politique – Simple– l’ex-protégé de Christine Lagarde – et auteur, pour la garde des Sceaux, de nombreux discours – qui prônait jusqu’alors un libéralisme éclairé s’était, semble-t-il, durablement rangé du côté de la gauche écologiste. À la source de ce retournement : un voyage à cheval à travers l’Europe, inspiré du parcours de Montaigne. Une réponse simple semble alors s’imposer à tant de questionnements écologiques évoqués au fil de sa formation mais aussi de son parcours politique : celle du retour à la terre, et du travail en profondeur de celle-ci par le lombric, son allié de toujours. Seules ces bêtes tenues pourtant pour répugnantes seraient en mesure, selon de nombreux experts, de restaurer les terrains ravagés par l’agriculture intensive et la pollution des sols. Utilisés en masse avec le bon dosage d’engrais et une protection optimale, ces vers que tant d’humains redoutent encore seraient pourtant leur seul salut. Séduisante, cette idée se voit explorée dès l’entrée en matière d’Humus par un self-made man devenu ingénieur par la force des choses : Marcel Combe, intervenant extérieur, plaide sans être entendu pour ce retour à une terre vivante. Les jeunes Kevin et Arthur découvrent ainsi sur les bancs d’AgroParis Tech les possibles de cette restauration des sols 100% organique, et infiniment déclinables. Ils tenteront tous deux de la mettre en pratique, pour des résultats pour le moins dissemblables.

L’école du vivant

Gaspard Koenig © Élodie Grégoire

On retrouve, dans les prémices de ce roman à deux têtes, les marottes du premier Houellebecq. Ingénieurs agronomes comme lui, pas encore dépressifs mais déjà solitaires, le jeune bourgeois Arthur et son camarade Kevin, issu du prolétariat rural, prendront comme les deux frères des Particules élémentaires des chemins opposés à leur déterminisme social. Le premier en revenant cultiver la terre ravagée de ses ancêtres et rédiger sa thèse, croit-il, avec l’aide d’un simple RSA ; le second en rejoignant HEC et en commercialisant pour les plus offrants sa technique révolutionnaire de tri des déchets. On se prend à craindre le pire, notamment dans le traitement des personnages féminins gravitant autour des deux jeunes hommes et dépeintes, elles aussi, à gros traits. Mais Humus prend en cours de route un tournant moins systématiquement cynique, étoffe la psychologie de ses protagonistes et de leurs proches pour mieux mettre en lumière les choix limités qui s’offrent à eux. Si bien que leur évolution s’avère moins caricaturale qu’elle ne semblait au premier abord. Sans surplomb et sans complaisance, Gaspard Koenig scrute cette jeunesse en phase d’appartenir à la classe décidante : capable de balayer d’un revers de la main un mouvement de grévistes ou une affaire de fraude, mais aussi de pleurer, à son corps défendant, à l’écoute de la Chaconne de Bach. Le penchant pour le tragique se teinte ainsi d’un optimisme certain : tout est peut-être encore possible – mais pour combien de temps ?

SUZANNE CANESSA

Humus, de Gaspard Koenig
Éditions de L’Observatoire - 22 €
À venir
Dans le cadre des rencontres organisées par Libraires du Sud, Gaspard Koenig sera présent le 7 décembre à 18h30 à la Librairie Lettre Vives de Tarascon, le 8 décembre à l’Attrape-Mots à Marseille et le 9 décembre à 11h à la librairie Le Bleuet à Banon et à 17h30 au Dernier Rempart à Antibes
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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