Ce lundi 31 octobre, c’est le premier jour des répétitions. Hakim Hamadouche débarque au théâtre de la rue Thubaneau mandole-luth à la main, coiffé de son chapeau habituel, chemise bleue et pantalon assorti. Il est classe et décontracté, ni grand, ni petit, ni maigre, ni gros. Son charisme, c’est son regard : vif et malicieux. Alors qu’on recherche un espace pour lui tirer le portrait, il sort son instrument et commence à jouer. On comprend vite qu’il ne le quittera plus, acquiesçant en chanson toutes les directives de la photographe. Hamadouche virevolte, chante, joue, et tire frénétiquement sur sa clope électronique, témoignage d’un passé de bon fumeur. Il faut attendre un court silence pour lui poser une question. Il y répond sans détour, puis très vite, se remet à chanter, joue et retire sur sa clope électronique. En trente minutes, le constat est tiré : l’interview ne se fera pas assise mais debout, en marche et au rythme d’Hakim. Un rythme qui ne s’arrête jamais.
Musicien de mariages
Quand il arrive à Marseille en 1982, l’artiste n’a pas d’instrument à la main. Il vient pour étudier aux Beaux-Arts de Luminy, « plasticien ou peintre, c’était ça mon truc. » À cette époque, l’avenir est incertain. « Je connais bien la ville, j’ai même dormi dehors », souligne-t-il amusé. Même aujourd’hui, il ne s’en plaint pas : « c’est facile quand on a la rage de faire quelque chose ». C’est d’ailleurs la faim qui le pousse à reprendre la chanson, cette musique qu’il voulait laisser derrière lui, en Algérie, dans une jeunesse rythmée par le chaâbi qu’il jouait lors des mariages. Mais au lieu de faire la plonge dans les restaurants comme ses camarades, lui préfère jouer « et ça a marché. » Il monte un premier groupe qu’il appelle Leïla Percussion, un mélange d’afro, de jazz et de brésilien. Puis un deuxième, Hakim Seillemar, « Marseille à l’envers ». Se dessine déjà ce style qui le caractérise. De la musique aux multiples influences, où l’on ressent particulièrement ses racines algériennes et l’énergie punk-rock britannique. « Je suis une éponge ». Hakim commence à jouer « de partout » à Marseille, comme dans la région, et se fait un nom. Un jour, on l’appelle pour jouer sur un disque et il monte à Paris. Au détour d’une rue, dans un bar, il fait alors une rencontre qui va changer sa vie.
De Ramallah à San Francisco
« C’est un ami en commun qui nous a présentés ». En 1991, Rachid Taha est déjà une star. Les Français l’ont découvert avec la reprise de Douce France de Charles Trenet par son groupe Carte de séjour. Il est beau, a plein de talent, et se lance en solo. Il cherche des musiciens et Hakim se rend disponible. « J’ai laissé tout ce que je faisais pour suivre Rachid ». Un sacrifice qu’il ne regrette pas. « J’ai beaucoup appris avec lui. Les années avec Rachid, c’était merveilleux. » Si la plupart du temps Taha compose avec Steve Hillage du groupe Gong, il lui demande parfois d’écrire des morceaux. « Un jour il m’a demandé de faire du Jimi Hendrix, du Beatles et du Amadou & Mariam dans une même chanson. » Deux heures plus tard, Hakim lui pond Je t’aime mon amour, à l’écoute duquel on retrouve distinctement toutes les volontés de l’artiste. Pendant vingt-huit ans, ils jouent ensemble dans cent-dix pays, de Ramallah à San Francisco. Et vivent l’intensité d’une tournée qui ne s’arrête jamais, où l’alcool comme les drogues sont au menu… Pour se préserver, Hakim a tout arrêté il y a dix-sept ans. « Au début c’était difficile, mais je n’ai plus bu depuis. J’étais obligé, sinon je serais mort. » Rachid, lui, n’a pas arrêté.
Il succombe dans la nuit du 12 septembre 2018 à une crise cardiaque, dans son sommeil. Il laisse son « armée mexicaine » – surnom qu’il a donné à ses musiciens – sans capitaine. Il est alors temps pour Hakim Hamadouche de prendre seul la lumière. « Il faut bien que je vive », lâche-t-il, presque désolé. Il sort un premier album sous son propre nom en 2020, Live, qu’il produit lui-même. La route continue, il compose pour le cinéma, le spectacle vivant. Et espère bientôt sortir un album électro, composé sur son ordinateur pendant le confinement, s’il arrive à réunir les fonds nécessaires. « Je ferai peut-être un kisskiss machin », comprendre un financement participatif sur internet.
« C’est ma ville »
À Marseille, il vient pour une « carte blanche », à savoir deux concerts les vendredi 4 et samedi 5 novembre au Théâtre de l’Œuvre. Quatre de ses musiciens – ils sont huit habituellement – descendent de Paris pour l’occasion, le reste du groupe est composé de Marseillais. Des amis musiciens rencontrés pendant ses longues années passées dans la cité phocéenne. « C’est ma ville, tous mes amis sont là. » Même si le déroulé des soirées n’est pas encore réglé en ce premier jour de répétition, il prévoit un « joyeux bordel. » Un chanteur de raï sera présent, une poétesse… Si Hakim ménage le suspens, il ne peut pas cacher la présence de Manu Théron, Sam Karpienia et Gari Gréu, du Massilia Sound System, qui pousse la porte du théâtre. « Oh tu manges toi ? », s’inquiète-t-il à la vue d’un Gari mince. On parle alors de nourriture de tournée, les souvenirs remontent, et Rachid –jamais bien loin dans son esprit – est de nouveau cité. Hamadouche embrasse ses invités qui arrivent tour à tour, il virevolte de nouveau, il est heureux. Ses amis sont là, et ils vont faire de la musique ensemble. Hakim n’en demande pas plus.
NICOLAS SANTUCCI
Hakim Hamadouche a donné deux concerts les 4 et 5 novembre
au Théâtre de l’Œuvre, à Marseille
À venir :
Le 1er décembre à la Cité de la musique de Marseille pour le concert de sortie de résidence de l'Ensemble Meryem Koufi