mercredi 2 octobre 2024
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Horreur judiciaire 

Pendant des décennies, des jeunes filles ont été confiées à la confrérie religieuse du Bon Pasteur. De retour sur les lieux, des anciennes pensionnaires décrivent dans Mauvaises filles ce qu’elles ont subi

Elles sont nées en 1927, 1940, 1947, 1948, et 1956 pour la plus jeune d’entre elles. Elles ne viennent pas de la même ville, ne se connaissaient pas. Toutes ont subi alors qu’elles étaient mineures, un placement dans un des établissements de la congrégation religieuse du Bon Pasteur : à Angers, Le Mans, le Puy-en-Velay, Bourges, et Orléans. Rebelles, fugueuses, souvent maltraitées, toujours mal aimées, ces « mauvaises filles » ont été confiées par des juges ou des parents défaillants à des religieuses chargées de « soigner » leur âme et de contraindre leur corps. Édith, Éveline, Michèle, Fabienne, Marie-Christine témoignent. La réalisatrice Émérance Dubas accouche leurs paroles longtemps retenues, qui convergent vers un même récit, glaçant. 

Car si elles s’en sont sorties, se sont intégrées dans la société, elles n’ont rien oublié ! La lourde porte qui se ferme sur elles, la violence de l’examen gynécologique régulier, les serviettes hygiéniques comptées, l’odeur écœurante de celles des sœurs qu’elles lavaient, les humiliations… et surtout la terrible détresse affective. Éveline, à fleur de larmes, découvre en ouvrant son dossier devant une assistante sociale que ses parents ont cherché à la faire revenir, alors qu’elle se pensait oubliée, abandonnée. Fabienne raconte comment les filles, affectivement vulnérables et économiquement fragiles, devenaient les proies faciles des proxénètes. La petite-fille de Michèle découvre, éberluée, ce qu’a vécu sa grand mère pourtant « grave cool ». 

MAUVAISES FILLES Michèle aux archives © LesFilmsdelOeilSauvage

Incarcérées à vie
Le film est un retour sur les lieux des crimes. La voix d’Édith nous guide dans ce qui reste du Bon Pasteur de Bourges. Fenêtres arrachées, vitres cassées et autres murs lézardés n’empêchent pas la vieille dame de tout reconnaître. La caméra s’attarde sur les mots gravés aux parois du cachot, dans la chair du plâtre. Messages dérisoires, passant de fille en fille, comme une résistance ultime. Les anciennes « placées » regardent les photos, celles qui mentent pour les visiteurs officiels, celles qui s’associent aux chagrins indélébiles. Pas de plainte. De la fierté d’avoir pu survivre à tout ça, car «il en faut du temps et de la chance pour se faire une place au soleil ». Certaines sont restées incarcérées à vie dans leurs têtes, incapables de surmonter les traumatismes et de donner l’amour qu’elles n’ont pas reçu. Alors oui, on sent de la colère aussi devant l’impunité des responsables. La convergence des souvenirs montre qu’il ne s’agissait pas de dysfonctionnements ponctuels mais d’un véritable système qui a perduré jusque dans les années 1970 ! 

On connaissait la violence faite aux femmes dans les couvents irlandais, révélée par le film de Peter Mullan The Magdalene Sisters. On découvre ici, toute proche dans le temps et l’espace, celle de l’Église et de l’État français. La cinéaste déclare avoir voulu donner la parole à ces invisibles. On l’entend, comme on entend le silence de ces femmes filmées souvent devant une fenêtre enfin sans barreaux.

ÉLISE PADOVANI 

Mauvaises filles d’Émérance Dubas
Sorti le 23 novembre
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