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Iago, l’âme noire d’Othello

Que faire du racisme de Shakespeare ? Jean-François Sivadier met en scène Othello en traitant le sujet, jusqu’au bout

L’Opéra Comédie s’ouvre au théâtre et accueille un des spectacles les plus formidables de l’année. Un classique du 16e siècle qui, par la pertinence des choix de mises en scène, répond aux interrogations actuelles sur le patrimoine et le répertoire.

Faut-il monter Shakespeare ? Son racisme est systémique. Il croit, comme beaucoup d’hommes de son temps, que les êtres vivants sont gouvernés par leurs « humeurs », entendez leurs liquides intérieurs, bile pour les atrabilaires, sang pour les sanguins, lymphe pour les lymphatiques… Que leur caractère en dépend, que leurs actes en découlent, que leur « race » et leur « sexe » déterminent sans libre arbitre les comportements  humains. Le Marchand de Venise, juif, est naturellement avare et cruel. Les femmes fortes doivent être dressées (La Mégère apprivoisée), les Ecossais sont cupides, les Gallois malins et les Maures sanguins. Shakespeare n’est pas suprémaciste, il n’établit pas de hiérarchie, mais il catégorise nettement. Faut il pour autant se passer de son génie dramatique et de ce répertoire qui nous appartient ? 

Magistral 

La réponse de Jean-François Sivadier est magistrale. Othello doit-il être joué par un Noir ? Evidemment oui, mais le meurtrier ne peut pas être le seul Noir. En faisant jouer le Doge de Venise et Emilia, épouse de Iago qui incarne la raison, par Jisca Calvanda, Jean-François Sivadier dynamite de l’intérieur la caractériologie raciste et sexiste shakespearienne. En inventant un « whiteface » génial (Adama Diop, au moment de tuer sa femme, s’enduit le visage de peinture blanche), il va au bout du processus : Othello, rendu fou par Iago, devient celui qu’on le pousse à être : un Noir colonisé de l’intérieur, glorifié pour sa force et sa puissance, poussé à la violence, devenu le pantin des Blancs. 

Le féminicide n’est à aucun moment minimisé. Acte extrême, il met fin à toutes les vies, toutes les ambitions, tous les désirs. Le spectacle haletant et déchirant s’écroule… et rien ne reste de la joie comique des premières scènes, où le père suprémaciste (Cyril Bothorel) est hautement ridicule, ni du plaisir que l’on peut prendre aux mensonges et manipulations de Iago : Nicolas Bouchaud, acteur fétiche de Sivadier, parvient à l’exploit sidérant de séduire et répugner à la fois. Par son intelligence visible, et sa cruauté ludique, et fatale.

AGNÈS FRESCHEL

Othello
Du 4 au 6 octobre
Opéra Comédie, Montpellier
domainedo.fr
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