« La culture est quelque chose que nous ne devons pas perdre », déclare Benoît Payan lors de la cérémonie du centenaire de l’Opéra de Marseille. « Parce que la musique nous rassemble et fait jaillir l’émotion au-delà de nos différences », dit-il, « nous la soutiendrons toujours, et remercierons toujours ceux qui nous la font entendre ». Le maire de Marseille répond ainsi aux larges coupes prévues dans les budgets de certaines collectivités et de la plupart des régions (-73% en Pays de Loire), aux inquiétudes des opérateurs culturels, des artistes et du public, confrontés aujourd’hui à une baisse sans précédent du nombre de représentations sur les scènes publiques.
Pourtant la plupart des théâtres, des opéras, des événements, à Marseille, dans toute la région, sont pleins, des mois, des semaines à l’avance. Mais les baisses impactent déjà la possibilité de produire et accueillir des spectacles. Résultat immédiat : impossible de réserver dans nombre de salles où l’on vient chercher le réconfort, la réflexion, le commun, l’émotion, la catharsis, une compréhension du monde hors du champ miné, laminé, des médias dominants. Loin du champ miné, laminé, des pays qui se libèrent et que l’on bombarde dans la nuit. Loin du champ miné, insensé, d’une France qui voit ses institutions s’effondrer à force de gouvernements aveugles à l’accablement de leur peuple.
Blum refleurira
Le pas-de-côté qui nous est proposé par les artistes, les documentaristes, nous permet d’habiter ce monde à travers nos émotions, notre empathie, notre auto-dérision, leurs souvenirs, et la subtilité de points de vue multiples. Garder en ces temps difficiles une part d’émerveillement, une part d’enfance, au festival de magie de Cavaillon, à Tous en sons, au Mucem, nous est indispensable. Partager les souffrances et les combats des films primés au Primed, qui parlent subtilement de la Syrie, et dénoncent l’esclavage sexuel conduit par Daesh, l’est tout autant.
Passer 12 heures à La Criée pour réfléchir, avec Charles Berling, à la situation politique française en replongeant dans l’histoire du Front Populaire et de Léon Blum, est aussi essentiel. Sans occulter ni son marxisme ni son anti-léninisme, pas plus que l’antisémitisme dont il a été victime, et qui explique sans doute pourquoi aujourd’hui encore il y a si peu de monuments, de rues, d’écoles, qui portent le nom d’un de nos plus grands hommes d’État.
Car comme l’a prétendu Jean-Luc Mélenchon, l’antisémitisme n’est pas résiduel en France. Il est omniprésent et multiforme, parce que le discours sur l’enracinement chrétien redevient courant à droite, parce qu’un criminel de guerre dirige Israël, parce que la voix des juifs de gauche est étouffée par leur communauté même, et parce que la confusion extrême entretenue dans les médias et les réseaux entre juifs, sionistes, colonisateurs et criminels de guerre, n’a d’égale que celle entretenue entre musulmans, arabes, islamistes et terroristes.
Léon Blum, juif non-sioniste avant la guerre, sioniste après, jamais colonialiste, déclarait « Par principe, par tradition, nous sommes adversaires du colonialisme, qui est la forme la plus redoutable de l’impérialisme. » Sortir des communautarismes et des dénis pour éprouver ensemble le sentiment d’humanité reste possible, tant que les salles de spectacles sont ouvertes.
AgnÈs Freschel
Retrouvez nos articles Société ici