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On Air : « Il n’y a pas de honte à faire des soirées payantes »

Fini la gratuité ! Il faut désormais débourser cinq euros pour accéder aux fameuses soirées On Air, sur le toit-terrasse de la Friche la Belle de Mai. Entretien avec Alban Corbier-Labasse, son directeur

Instaurés en 2013 par l’ancien directeur Alain Arnaudet, ces rendez-vous très populaires des Marseillaises et Marseillais permettaient un embryon de mixité dans un territoire aux inégalités criantes. Les explications d’Alban Corbier-Labasse, directeur du lieu depuis septembre 2021.

Zébuline. Pourquoi avez-vous décidé de rendre les soirées On Air payantes ?
Alban Corbier-Labasse. Plusieurs choses ont conduit à cette prise de décision. L’une concerne le modèle économique. C’est le seul événement où la Friche est en position de production directe. Le toit-terrasse générait un déficit important pour notre structure alors que partout ailleurs dans Marseille, ce sont des lieux où les organisateurs de soirée gagnent de l’argent. Nous en perdions beaucoup et ce n’est pas négligeable dans un contexte de raréfaction des subventions publiques. Elles n’ont pas bougé depuis dix ans et des subventions qui ne bougent pas sont des subventions qui baissent, par la force de l’augmentation des charges. Si on veut sauver ces soirées sur un moyen terme, il fallait trouver un modèle économique qui nous permette de les sécuriser. L’idée est de ne plus perdre d’argent mais on ne va pas en gagner.

«la gratuité d’une offre ou d’un espace culturel n’a jamais été signe de démocratisation»

La fin de la gratuité dans un quartier aussi défavorisé est tout de même symboliquement forte…
D’expérience, dans tous les lieux où je suis passé, la gratuité d’une offre ou d’un espace culturel n’a jamais été signe de démocratisation. Dans l’ambition, cela semble naturel ; dans les faits, ce n’est pas la réalité. Dans bien des cas, ce sont ceux qui ont déjà le capital culturel et social qui savent comment y accéder et se sentent légitimes pour le faire. Si, quand c’est gratuit, il n’y a pas de mixité, quand c’est payant, il y en aura encore moins. Sauf que dans notre projet d’évolution du toit-terrasse, on se sert des nouvelles recettes pour embaucher trois jeunes médiateurs recrutés à la Belle de mai. En plus de nos propres équipes de médiations, ils vont travailler avec les associations du quartier pour mettre en place un dialogue à partir duquel on va offrir le Ticket Toit, carte valable tout l’été et gratuit pour deux personnes. Celle-ci est donnée en nombre illimitée aux associations qui les distribuent aux publics qu’elles sensibilisent. Quand on fera le bilan à la fin de la saison, on espère pouvoir dire qu’on a servi une plus grande mixité des publics que l’inverse.

Dernier aspect, l’accès est fluidifié. On n’a plus de queue monstre comme c’était parfois le cas dès 18 heures. La plupart des gens ayant acheté leur billet avant, ils sont sûrs de rentrer.

Proposer ce Ticket Toit aux publics qui socialement ou culturellement ne se sentiraient pas spontanément concernés n’est-il pas stigmatisant ?
La relation tissée avec les associations est faite de telle sorte que cela ne le soit pas. Prenons le cas des jeunes étudiants précaires : ils n’entrent pas dans le dispositif, ils ont plus de 16 ans et pas les minimas sociaux. Il y a tout de même des outils qui leur permettent de ne pas payer l’accès comme le Pass culture ou le Pass Région. On peut en débattre toute la vie mais je pense que le Ticket Toit est une carte privilège plutôt qu’une carte stigmatisation.

Le privilège d’être pauvre ?
Ce n’est pas du tout ce critère. Le public concerné est celui des associations du quartier La Belle de mai. Cela peut être des mères isolées, des familles nombreuses, des jeunes en situation de décrochage, etc. C’est aux associations qui travaillent dans le territoire de proximité d’orienter et de décider à qui donner ces entrées gratuites.

Dans notre précédent entretien, vous disiez souhaiter que la Friche devienne une vraie coopérative. Or visiblement ni les résidents, ni les administrateurs et ni les opérateurs invités sur le toit-terrasse n’ont été consultés ou informés en amont du passage au payant…
La SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) a la responsabilité de l’exploitation. Des réunions ont été faites très en amont avec Les Grandes Tables (le restaurant de la Friche, ndlr), coproducteurs des soirées et qui sont sur la même longueur d’ondes que nous. Mais effectivement, toutes les décisions à la Friche ne font pas l’objet d’un vote à l’unanimité des résidents ni des sociétaires. Si un jour on décide d’augmenter le tarif des visites d’exposition, je ne pense pas qu’on demandera à l’ensemble de la communauté de donner son avis. Sinon on serait dans un blocage de fonctionnement permanent.

Les opérateurs culturels qui pensaient proposer une programmation en accès libre se retrouvent du jour au lendemain à devoir assumer le fait que ce soit payant.
Il n’y a pas de honte à faire des soirées payantes. Surtout à cinq euros ! Et tous ceux qui ont produit un événement étaient au courant du changement de format. Ils ne l’ont pas découvert à l’ouverture des portes ! Si éthiquement pour eux, c’est compliqué de passer de zéro à cinq euros, ils pouvaient aussi refuser de le faire. Je n’ai pas participé à ces discussions-là. C’est dire à quel point les choses sont déconcentrées à la Friche. Jusqu’à présent, toutes les équipes sont très contentes de l’évolution du format.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

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